Un Belge au Sahara

Suite à notre numéro consacré au Sahara nous avons eu beaucoup de retours sur différents articles et notamment sur la traversée en moto jusqu'à Tamanrasset par le belge Rossion.

Mise à part cette anecdote, nous n'avions aucun document sur ce personnage et nous ne connaissions rien de sa vie et même pas son prénom.

Et voilà ô miracle qu'un adhérent du CDHA avait non seulement entendu parler de lui mais possédait un article le concernant.

Après avoir fait des recherches dans « la vie de l'auto » et « sciences et voyages », il a découvert que monsieur Rossion s'appelait Auguste, qu'il serait né le 4 avril 1896 à Margerotte en Belgique et  mort le 3 avril 1980. Il serait le découvreur du crapaud vert à Tamanrasset, il avait combattu en Afrique (Tanzanie) pendant la première guerre mondiale.

Mais il faut croire que Rossion avait le goût des aventures originales car le Commissaire général Serge Habert, méhariste au Hoggar et au Tassili, raconte dans « le saharien » une anecdote drôle mais qui a dû contrarier plus d'une personne.

« Au cours du deuxième trimestre 1924, la Compagnie Saharienne des Ajjer prenait ses assises à Djanet.......... Le Capitaine Duprez prenait le premier le commandement, sans argent, sans personnel administratif, sans archives, sans locaux autres que l'ancien bureau exigu du poste, agrémenté d'une table et de deux tabourets.


Dans le même moment, il était question de faire traverser le Sahara oriental par une mission qui irait de Tunis au Tchad, voyage magnifique en perspective auquel on avait même trouvé un but. On ne pouvait envisager qu'elle utilisât la route Ghadamès-Ghat puisque le territoire appartenait à l'Italie. Il fallait donc couper à travers le Tassili, et Duprez avait été chargé non seulement de tracer la piste mais aussi de la faire. Depuis plusieurs mois il en avait entrepris la réalisation et il accomplissait des miracles. Doté d'un crédit de 50.000 francs, ce qui, même à l'époque, n'était pas une fortune, et nanti des militaires du groupe mobile et d'une centaine de harratins(1) que lui avait recruté Brahim Ag Abakada, l'Amrar du Tassili, et qui se trouvaient ainsi devenir pour la circonstance des spécialistes du Génie, il avait pu ouvrir une piste honorable qui, de Fort Flatters, en passant par Fort Polignac, venait aboutir dans la plaine d'Admer par le col de Tehin Taradjeli. Travail surhumain et grandiose accompli dans le minimum de temps......

Et pendant qu'oeuvrait le chef, la compagnie se constituait lentement..... Chacun s'attelait au mieux à la tâche administrative, mais elle dépassait le savoir et la bonne volonté de tous. Les télégrammes pleuvaient, pas toujours très tendres, réclamant des états urgents dont personne ne connaissait la valeur ni la contexture.

Un jour en arriva un signalant le départ de Polignac de MM. De Précourt et Rossion. Qui était De Précourt ? Qui était Rossion ? Mystère. Mais on n'avait guère le temps d'y réfléchir, car sitôt après parvenait enfin la nouvelle attendue : la mission Tunis-Tchad, commandée par le Général Courtot, chef du cabinet militaire du Résident Général en Tunisie, était signalée à Polignac et comptait repartir sous peu sur Djanet en automobiles, soit 5 chenilles Citroën.

Enfin un événement important allait être enregistré dans les annales de Djanet, qui allait voir arriver non seulement des visiteurs, ce qui n'était guère fréquent à l'époque, mais aussi des automobiles, les premières !

Et pourtant, ce n'était pas avec une joie sans mélange que chacun considérait ce tournant dans l'histoire. Les Kel Djanet, pour qui tout moteur relevait des « djnoun », n'étaient pas fanatiques du progrès et ne tenaient en aucune manière à voir modifier le cours des habitudes ancestrales qui voulaient qu'on arrivât à Djanet au pas noble du méhari.... Quant à la garnison militaire, elle ne voyait que trop que ce début était la fin de sa tranquillité, sans se rendre compte par ailleurs que les petits ennuis qui en résulteraient plus tard seraient largement compensés par les satisfactions matérielles qui seraient apportées dans la vie des postes grâce aux nouveaux moyens de communication rapide.

Quoi qu'il en soit, l'arrivée de la mission était l'événement extraordinaire et l'objet de toutes les conversations.

La piste, l'orgueil du chef qui rejaillissait sur tous, serait-elle trouvée convenable, les véhicules n'auraient-ils pas de panne ? Et chacun de penser en souriant qu'une colonne de secours à chameaux serait peut-être nécessaire pour ramasser les restes des voyageurs égayés dans la nature. Mais il fallait aussi envisager le cas le plus favorable, celui de l'arrivée toute normale de la caravane motorisée à Djanet, ce dont à la vérité personne ne doutait. Il fallait donc préparer cette arrivée et accueillir comme il se devait des personnages de marque qui, de plus, accomplissaient une performance de belle envergure non exempte de risques par surcroît..... Il fallait donc saluer au mieux les premières voitures pénétrant dans la capitale.

Depuis le départ de Polignac, on ne savait rien de la mission, sinon que son arrivée à Djanet était prévue pour le 21 Janvier 1925. Les dispositions furent prises en conséquence, le ban et l'arrière-ban de la population étant convoqués pour l'après-midi. Il faisait un froid terrible, mais le courage de tous était remonté, peut-être par la qualité du spectacle qui allait intervenir, mais plus sûrement encore par une large distribution gratuite de dattes et de grains. Les gens devaient se répartir en trois groupes : les Touaregs nobles et Imrad ayant leur monture à proximité, se tiendraient à l'entrée du village d'Adjahil, les hommes non montés seraient massés à hauteur d'El Mihan et feraient parler la poudre, les femmes au bas du bordj rendraient les honneurs du tebol et des you-you. Dans le même moment, les forces armées (une vingtaine d'hommes) tireraient le canon et exécuteraient des feux de salve à blanc.

Tout le monde, on le voit, était sur les dents. Malheureusement, la nuit arriva plus certainement que la mission et chacun rentra chez soi, se promettant d'apporter le lendemain un enthousiasme accru par un supplément de distributions gratuites.

Le 22, rien, le 23, rien, le 24, toujours rien ! En voilà une histoire ! La ville avait oublié la perspective du spectacle et repris sa physionomie habituelle. Mais l'affaire n'en devenait pas moins troublante. Quelles étaient les causes du retard ?..... Sans nul doute, les difficultés provenant des véhicules, mais elles n'avaient certainement pas affecté la totalité du convoi. Pourquoi alors les voitures intactes n'étaient-elles pas arrivées ?........ Chacun soupesait le pour et le contre et exposait son point de vue hypothétique lorsque, en coup de vent, la sentinelle annonça « la mission ».

En quelques bonds, tout le monde était dehors. Aucun doute n'était possible, des phares avançaient lentement dans la palmeraie. Il n'était plus question de mettre en place le dispositif de réjouissance qui avait été prévu et plusieurs fois répété. Néanmoins, le poste fut rassemblé en grande tenue en un tournemain, le canon de 65 sorti et approvisionné, et quand la première voiture, et la seule du reste, passa dans le fond de l'oued à hauteur du bordj, une triple salve de mousquetons et trois coups de canon se répercutaient par monts et vallées. Djanet rendait les honneurs au chef de la mission Tunis-Tchad. La mission arrivait par fraction, probablement selon les possibilités des véhicules, mais sans nul doute le chef faisait partie du premier équipage.

Quelques minutes s'écoulèrent, la voiture montait péniblement l'aqba, le moteur gémissait, puis tout d'un coup elle apparut à mi-pente et stoppa, incapable de faire un dernier effort.

Les deux officiers se précipitèrent et saluèrent militairement. Deux hommes sautèrent du véhicule fumant, jeunes, alertes et se présentèrent ; le premier : DE PRECOURT, le deuxième : ROSSION.
C'étaient nos deux voyageurs signalés partis de Polignac huit jours avant la mission et dont plus personne ne se rappelait l'existence. Ils étaient rayonnants, harassés certes, mais enthousiasmés de leur randonnée sur leur Delage 11CV et surtout de l'accueil si chaleureux qui leur avait été réservé et dont ils se montraient très fiers.
Le chef de poste l'était beaucoup moins ».

Les précisions et cet article nous ont été transmis par Jean-Charles Humbert, auteur de « Sahara, les traces de l'homme » - Chabaud éditeur Paris 1989, et de « La découverte du Sahara en 1900 » - éditions l'Harmattan 1997.

Bibliographie

- La vie de l'auto – 4 mars et 11 mars 2010 – articles de « sciences et voyages » n° 368 – septembre 1926.

- Le Saharien n°196 – mars 2011 dans un article consacré à Bradley Tyrell, membre de la mission franco-américaine qui en 1925 mit à jour la tombe de Tin Hinan, reine et ancêtre des Touaregs, parle de sa rencontre avec Rossion.

(1) Pour les Maures, descendant d’esclaves, à la peau noire.

Extrait du Mémoire Vive n°53