« SOUVENIRS D’ALGER » de Joseph MAIRE

Souvenirs d'Alger

C'est un ouvrage de 1884 édité par Challamel Ainé, Librairie algérienne coloniale.

Voici un ouvrage qui nous a été offert par Monsieur Philippe Bourlier.

C’est la curieuse relation de voyage d’un écrivain dont nous avons pu retrouver la trace dans l’inventaire des auteurs qui ont écrit sur l’Algérie.

Joseph Maire nous narre les pérégrinations d’un jeune Français, prénommé Richard, originaire d’un village rural du centre du pays et qui découvre l’Algérie. Il se rend dans cette contrée sur les prescriptions de son médecin, afin de se remettre d’une mystérieuse maladie microbienne.

Sitôt arrivé, sa première impression lui procure un enthousiasme sans mélange. Il a laissé une France froide et pluvieuse pour débarquer dans un Alger radieux et ensoleillé.

Hélas, dès qu’il a gravi les rampes de la Pêcherie, après avoir jeté un regard d’admiration sur la magnifique rade, il va vite déchanter. Il est aussitôt assailli par le bruit, la poussière et surtout les odeurs.

Il observe avec étonnement les petits métiers de la rue et analyse les différentes ethnies qui composent le pays. 

Avec une ironie cinglante, il nous décrit la société qui compose l’Alger des années 1860, son climat, sa cuisine, les rigueurs du sirocco. Selon le jeune homme, on ne mange pas dans cette ville, on mâche, on emplit son ventre de nourriture, il n’y a aucune gastronomie digne de ce nom, et les produits qu’on consomme sont de médiocre qualité.

Les artisans et commerçants offrent leurs services et marchandises à des prix inabordables et avec un manque d’amabilité déconcertant. Quant aux domestiques, ils se montrent tellement arrogants qu’on a tout de suite envie de se passer de leurs services. En plus, les conditions sanitaires sont déplorables. Bref, le séjour ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices, mais il faut savoir qu’on aborde le début de la seconde moitié du 19° siècle où les conditions de vie dans un pays à peine colonisé demeurent  précaires.

De même il examine d’un œil curieux les mœurs des Juifs, des Maltais, des Espagnols, des Anglais et se rend compte avec étonnement que les Kabyles sont très différents des Arabes.

Mais sa plus grande surprise viendra de la façon dont la justice est rendue dans ce pays tout neuf. Avec un humour féroce, il nous décrit le travail harassant de l’exécuteur des hautes œuvres, un certain Rasenoeud (ça ne s’invente pas)

L’ouvrage est émaillé d’anecdotes savoureuses sur les prostituées qui hantent les bas quartiers d’Alger, les fumeurs de kif, les réceptions mondaines du « tout Alger ». Il nous conte l’histoire de la petite Messaouda qui est tombée amoureuse d’un roi et celle de « patte à coco » ancien tirailleur sénégalais qui s’est vengé d’une manière curieuse d’un officier prussien qu’il avait croisé pendant la guerre de 1870.

En compagnie de notre voyageur nous allons visiter en touriste Blidah, les Gorges de La Chiffa, la Pointe Pescade, Cap Caxine, Sidi Ferruch, le domaine de la Trappe à Staouéli.

Sur un ton plus sérieux il nous fait part de son sentiment sur l’avenir du pays. Selon lui, le plus sage serait de renoncer à la colonisation mais, sans aller jusque là, il préconise de tirer parti des qualités militaires des indigènes. Il voudrait leur ouvrir largement les rangs de notre armée pour surveiller le Sénégal, la Cochinchine et le Tonkin.

Mais notre héros doit rejoindre maintenant la France  après avoir expérimenté quelques aventures amoureuses  assez décevantes.

De retour au village natal, son médecin constate que le microbe n’a pas été vaincu. L’auteur conclut en nous informant qu’aux dernières nouvelles  Georges résistait encore.

« Souvenirs d’Alger » est un ouvrage qui sort des sentiers battus. Il prend le contre-pied de tout ce qui se dit couramment sur Alger. Il nous procure un plaisir différent au-delà des traditionnels récits de voyage empreints d’un exotisme de pacotille et puisé dans les guides touristiques.

Gérard Séguy

Extrait du Mémoire Vive n°46