L'histoire des établissements ALTAIRAC

Le CDHA a reçu dernièrement un complément de don d’un descendant de Frédéric Altairac, 21e Maire d’Alger. Parmi les documents constitutifs de ce nouveau versement, le journal manuscrit du Voyage Présidentiel d’Émile Loubet en Algérie et Tunisie en avril 1903 et un document iconographique remarquable : intitulé "Altairac Frères - Alger (Mustapha, Maison-Carrée)", cet album photographique, reliure en cuir rouge et couverture dorée à l’or fin, rassemble trente clichés de grande qualité, daté de 1901, de l’usine de confection familiale créée en 1845.

Quelques photos de cet album :

Nous remercions la famille ALTAIRAC pour sa confiance renouvelée.

Ce don est pour nous l’occasion de vous présenter l’histoire des Etablissements ALTAIRAC.

 

 

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Histoire des Etablissements ALTAIRAC.

 

De 1845 à 1968, une dynastie d’industriels a œuvré pour l’économie de l’Algérie.

  Antoine  Frédéric Altairac était né à Alès dans le Gard en 1821 dans une famille de jardiniers. Il avait appris le métier d’ouvrier tailleur, il était très travailleur, organisé,  énergique, intelligent et persévérant. Il était aussi aventureux et en 1843 il s’embarqua pour Alger. En 1845 il créa un atelier de confection : les Etablissements ALTAIRAC.

   En 1859 il s’orienta vers la confection du petit équipement militaire et la fabrication de chaussures. Il employait près de quatre cents ouvriers et surtout ouvrières. En quinze ans, il était devenu le 1er industriel d’Algérie.

  En 1868 il obtint, après plusieurs demandes appuyées du Général Chanzy, Gouverneur Général, que l’habillement d’une partie des troupes d’Afrique (environ dix mille hommes) soit détaché de l’Entreprise GODILLOT et soit effectué en Algérie. Après la défaite de 1870 et la coupure avec la Métropole, la nécessité de faire fabriquer en Algérie les équipements militaires était devenue évidente.

  Il ouvrit en 1877 de nouveaux et vastes ateliers dans une importante construction dont il avait dirigé lui-même l’édification dans le nouveau centre d’Alger. Une grande manufacture était née. Le Conseil Municipal d’Alger conféra le nom de « rue de l’Industrie » à la voie qu’elle animait. Plus tard, cette rue disparut dans le réaménagement du centre d’Alger. Elle était située non loin du futur siège de « l’Echo d’Alger ».

   En 1878 l’Administration, au renouvellement des marchés, décida que tout ce qui était nécessaire au 19ème Corps d’Armée en habillement, chaussures et équipements serait exclusivement fabriqué en Algérie. Dès ce moment, les Etablissements ALTAIRAC prirent une extension considérable. Ils employaient directement plus de huit cents ouvriers et ouvrières et un nombre équivalent travaillait à domicile.

   Toujours en 1878 il acquit le domaine d’« Aïn Schrouna », la propriété de Monsieur Gimbert d’une superficie de trois cent trente hectares située à la sortie de Maison-Carrée sur la gauche de la route de l’Arba. En 1882, il compléta l’industrie de la fourniture militaire en y installant une importante usine de tannerie-corroierie et peausserie. Là, plus de cent cinquante ouvriers trouvèrent un travail permanent produisant  trente mille cuirs de bœufs, vaches et veaux et trois cent mille peaux de moutons et chèvres. Ce ne fut pas tout. Il  créa au même lieu une briqueterie-tuilerie, nouvelle usine qui employait constamment près de deux cents ouvriers, fabriquant dix millions de briques et deux millions de tuiles par an.

  De grands travaux furent aussi effectués sur la propriété agricole. Un système d’irrigation fut mis en place permettant de l’arroser dans toute son étendue. Ainsi cent trente hectares furent plantés en vigne (ils produisaient dix mille hectolitres par an), cent quarante en céréales et dix d’orangers. Du fait de ses origines cévenoles, il développa la culture du mûrier pour alimenter une magnanerie (ver à soie). Une jumenterie fut créée pour produire des mulets pour l’Armée. La propriété agricole occupait une centaine de personnes dont beaucoup étaient indigènes.                                    

  Pour aider son personnel, ses usines étant loin de la ville, il construisit à côté d’elles des logements d’ouvriers qui abritaient cinq cents personnes dans des conditions parfaites d’hygiène, une partie pour les européens, et une autre pour les indigènes, afin de respecter les coutumes de chacun. Enfin il fit construire une école qui comprenait plusieurs classes.

  Les habitants de Maison-Carrée pour le remercier, l’envoyèrent pour les représenter, au Conseil Général. Il s’apprêtait à être décoré de la Légion d’Honneur lorsque sa mort survint en 1887.

  Il laissa deux fils qui héritèrent de ses qualités et assurèrent le succès de son œuvre  en poursuivant le développement des « Etablissements ALTAIRAC ». La manufacture de la rue de l’Industrie fut transférée dans de nouveaux locaux, construits spécialement à cet effet, rue des Colons près du Champ de Manœuvre, avec de nouvelles réalisations (ateliers de bourrellerie, de sellerie et de chaussures).

  L’aîné, Frédéric, né à Alger en octobre1852, fut élu Conseiller Municipal d’Alger en 1884. Il démissionna en 1886 pour remplacer son père comme Conseiller Général de Maison- Carrée. Membre puis Vice-président de la Chambre de Commerce, il fut élu 21ème Maire d’Alger en juin 1902, fonction qu’il occupa jusqu’en mai 1908, c’est lui qui  eut l’honneur d’accueillir à Alger le Président de la République Emile Loubet lors de sa visite en avril 1903. Il était  Officier de la Légion d’Honneur, et mourut à Blois en  juillet 1917.

  Le cadet, Louis, né à Alger en 1855, était Délégué Financier de l’Algérie et également Directeur du Syndicat des Viticulteurs Algériens. Il était Chevalier de la Légion d’Honneur, et mourut à Alger en janvier 1909.

   A la suite de ce décès, Frédéric demanda à son fils aîné Georges, né à Alger en janvier 1888, de l’assister dans la direction de ses affaires, ce qu’il fit jusqu'à la mort de son père à qui il succéda. Son frère Frédéric, né à Alger en décembre 1893, sera ensuite associé à la direction de l’affaire. Ils poursuivront le développement en procédant aux améliorations commandées par l’évolution économique et les progrès de la technique, notamment en ce qui concerne la briqueterie-tuilerie.

  Une usine de fournitures militaires et administratives fut créée à Casablanca au Maroc. Elle fut dirigée, jusqu’à sa vente à la fin des années 60, par Claude André, cousin de la famille.

  Georges fut élu Conseiller Général de Maison-Carrée en 1919, juge au Tribunal de Commerce en 1922, Président de la Société des Courses d’Alger en 1927 enfin Maire de Maison-Carrée en 1929. Il était Chevalier de la Légion d’Honneur et mourut en 1956.

  Il avait demandé à son fils René, né à Maison Carrée en  septembre 1912, de le remplacer dès 1936 aux affaires à côté de son frère Frédéric, qui décèdera en 1961. Ils assumeront les transformations et adaptations nécessaires pendant la période difficile de la 2ème guerre mondiale.

  Très vite arrivèrent les épreuves des événements d’Algérie si difficiles tant sur le plan humain que sur le plan industriel. René Altairac était devenu maintenant le seul dirigeant, son frère André, né à Alger en avril 1920, était en charge de la propriété agricole puis de la briqueterie-tuilerie ; leur cousin germain Jacques, né à Alger en juillet 1924, était chargé lui, de l’usine de confection.

 

 Pour la partie confection ce fut la fin de l’activité de fournitures de l’Armée et l’orientation vers les fournitures des Administrations : Banque de l’Algérie, TA, RSTA, CRS  et d’autres. . Ce fut aussi la fermeture de la tannerie-corroierie et des activités autour du cuir.

 Pour la briqueterie-tuilerie ce fut l’adaptation aux techniques nouvelles, avec l’appui du Plan de Constantine et la découverte du gaz d’Hassi R’mel. Le séchage des tuiles et des briques se faisait de manière naturelle, sur un temps très long, ce qui occupait beaucoup de place ; il se fit désormais à l’intérieur d’un tunnel chauffé au gaz naturel dans lequel les produits céramiques défilaient mécaniquement. Les fours de cuisson des produits céramiques qui fonctionnaient au charbon furent eux aussi adaptés au gaz naturel. La production en 1960 était de trente trois mille tonnes de briques et pour les tuiles de seize mille tonnes, soit près du quart de la production de l’Algérie.

  1962 arriva. Les « Etablissements ALTAIRAC » occupaient encore plus de mille personnes et avaient près de cent vingt ans d’existence. Les Altairac pouvaient-ils mettre la clef sous la porte et partir ? Ils décidèrent de rester et continuèrent à prendre encore beaucoup de risques.

  En quelques mois tout l’encadrement européen ainsi que la plupart des employés européens  quittèrent le pays. Le défi pour continuer à fonctionner fut immense. Les Altairac étaient obstinés, ils arrivèrent à coup de promotions internes à faire tourner la boutique.

 La propriété agricole fut nationalisée en 1963 en même temps que toutes les autres propriétés.

En 1968 dans le cadre d’une vaste opération orchestrée par des cabinets suisses travaillant pour le nouveau pouvoir algérien, les usines des « Etablissements ALTAIRAC», LAFARGE, BERLIET et bien d’autres furent nationalisées.

  Les « Etablissements ALTAIRAC » ont été opérationnels pendant presque toute la période française de l’Algérie. René Altairac fut le dernier d’une longue lignée d’industriels. Il travailla à Alger, jusqu'à sa mort en octobre 1980, à sauvegarder des biens familiaux qui n’avaient pas été nationalisés. En tant que Président de « l’Association Française de Bienfaisance d’Alger » il œuvra  pour venir en aide à beaucoup de nos compatriotes en très grandes difficultés qui avaient fait le choix de rester sur la terre de leurs ancêtres. Il fut, pour cela, fait Chevalier de l’Ordre National du Mérite en 1974.

 

                                                                                                    Pierre Altairac

 

Bibliographie

- Mémoire Vive N° 17 (1er  trimestre 2002).

- Afrique du Nord illustrée. N° 511 (14 février 1911).