[PARTIE 1] L'évolution démographique de l'Algérie Française et ses conséquences

L'évolution démographique de l'Algérie Française et ses conséquences

 

I - Evolution de la population de l'Algérie de 1833 à 1954

Nous connaissons l'évolution de la population en Algérie au travers des dénombrements qui furent réalisés tous les 5 ans, en principe (1). Nous disposons de ceux réalisés entre 1833 et 1954 pour la population d’origine européenne, et entre 1851 et 1954 pour la population indigène (2).

I-1/ Les chiffres globaux sur la période 1833-1954

NB : Les recensements des populations musulmanes, réalisés par les autorités françaises, sont très approximatifs au début, en raison de l’instabilité des territoires des tribus, des accès de surmortalité liés aux aléas de la conquête (3), ainsi qu’aux disettes liées aux années de sécheresse et de sauterelles, aux épidémies de choléra et de typhus (4).

L’examen du tableau 1, conduit à faire un premier constat : la forte croissance de la population musulmane, qui passe de 2 à 4 millions entre 1851 et 1901, puis de 4 millions à 8 millions entre 1901 et 1942, et dont le profil de croissance est exponentiel, tandis que la population d’origine européenne présente une courbe de croissance de type linéaire, comme on peut le constater sur le graphique suivant :

 

Les années 1866 à 1876 sont 10 années de turbulences démographiques avec des épidémies meurtrières, des perturbations climatiques entrainant des récoltes catastrophiques. Le corps médical se trouve encore démuni de moyens pour lutter contre les épidémies et l’administration incapable de gérer les calamités agricoles et sanitaires.

Un second constat s’impose, qui réside dans la disproportion entre les deux communautés qui composent l’Algérie. Le pourcentage moyen sur la période 1851-1954 est de 12,2% de population d’origine européenne dans la population totale de l’Algérie.

Le taux de 14% d'Européens est dépassé seulement entre 1901 et 1916

I-2/ Les facteurs de croissance de la population européenne de 1836 à 1954

Entre deux recensements, la population évolue sous l’effet de deux facteurs, le mouvement naturel et le mouvement migratoire. Du début de la conquête à la période 1856-1861, la population d’origine européenne enregistre plus de décès que de naissances. Et si durant cette période elle connait néanmoins une croissance globale, puisqu’elle passe de zéro à 159.292 habitants en 1856, c’est uniquement en raison d’un solde migratoire important et régulier.

A partir de 1861, le solde naturel est toujours positif, sauf durant la période de la première guerre mondiale, et la population totale s’accroît sous le double effet du solde naturel et du solde migratoire tous deux positifs. Enfin, à partir de 1906, le solde naturel devient supérieur au solde migratoire, sauf exception de la période de la première guerre mondiale.

Le graphique suivant rend compte visuellement de cette évolution.

I-3/ Un zoom sur l'année 1851 (5)

a- La population d’origine européenne

Vingt ans après la conquête, la population d’origine européenne atteint 131 283 personnes. C’est peu. J-CH-M Bourdin fait remarquer à ce propos que ce chiffre « représente un peu moins de la septième partie de la population de Paris, et juste 100.000 individus en moins que la seule émigration irlandaise de l’année 1851, qui s’est élevée à 231.323 personnes ». De son côté, le recensement de la population de la France pour 1851 a donné 35.781.628 habitants. Les Européens d’Algérie ne représentent donc que 0,37% de ce total !

Sur le plan géographique, les européens sont installés d’abord dans la province d’Alger, puis dans celle d’Oran et enfin dans celle de Constantine :

Au sein de la population d’origine européenne, les Français ne représentent qu’un peu plus de la moitié. Ensuite viennent les Espagnols, qui sont plus du tiers, puis les Italiens et les Maltais, entre 5 et 6%, et enfin les Allemands et les Suisses, autour de 1% à 2%.

Cette population vit surtout dans les villes, elle est urbaine à hauteur de 64,4%. Les autres sont recensées comme population agricole (25,4%) ou population rurale agricole (10,2%).

b- La population indigène en 1851

Le recensement regroupe sous ce vocable les musulmans, les juifs et les nègres (sic). Ils sont au total 2.429.720, dont une immense majorité de musulmans (98,99%).

Une faible proportion de ces habitants vit en ville, un peu plus de 4%.

Les tribus indigènes sont beaucoup plus présentes, en population, dans les provinces de Constantine et d’Alger, que dans celle d’Oran.

c- La population totale

En résumé, le recensement de 1851 nous montre une Algérie peuplée de 2.561.003 habitants, vivant très majoritairement dans les tribus indigènes, et où la population d’origine européenne est très peu supérieure en nombre à la population indigène des villes :

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1 : Pendant les périodes de conflits locaux ou mondiaux, les dénombrements sont partiels, donc inutilisables, ou interrompus. C’est le cas notamment en 1916, en 1941(reporté en 1948), en 1960 (résultats inutilisables). Cf aussi note 4.

2 : Le tableau ci-dessous a été établi à partir de deux sources : « L’histoire statistique de la colonisation et de la population en Algérie », livre de J.-CH.-M. BOUDIN, publié en 1853 ; « La population en Algérie, étude de démographie quantitative de J. Breil, La documentation Française, 1957, in « La population de l’Algérie, revue Population, 28ième année, N°6.

3 : Abd-el-Kader n’est vaincu qu’en 1847. La conquête de la Kabylie ne s’achève qu’en 1857. La révolte des Mokranis soulève tout l’Est Algérien en 1871-72. Durant ces conflits, les enquêtes démographiques dans les tribus sont rendues difficiles voire impossibles, certaines tribus étant parfois déportées.

4 : Notamment 1846-1848 ; 1849-1851 ; 1867-1870.

5 : Cf : J-Ch-M Boudin, L’histoire statistique de la colonisation et de la population en Algérie, J-B Baillière, Paris, 1853.

 

Jean-Pierre SIMON