...ou création d’un village de colonisation
1872 - 1888
Le récit ci-après relate la façon dont le Gouvernement français a pris des dispositions de peuplement dans la plaine de la Mitidja à la suite des émeutes d'algériens de souche, conséquence de la défaite de 1870"
La défaite de 1870 a bouleversé, au sens figuré comme au sens propre, la France et l’Algérie : capitulation de Sedan, chute de l’Empire, proclamation de la 3ème République le 4 septembre 1870, climat insurrectionnel dans plusieurs villes, notamment la Commune à Paris.
En Algérie, du côté européen, il y a création à Alger et dans certaines villes de comités républicains, confrontation entre les élus européens, le pouvoir civil et le pouvoir militaire.
En Kabylie, Mokrani déclare la guerre à la France. Une centaine de milliers d’hommes marchent sur Alger. Des villages et des fermes isolées sont détruits, leurs occupants tués, des centres importants sont attaqués, dévastés, des colons massacrés.
Devant le danger, les Français civils et militaires, oubliant leurs rivalités, vont faire face. Un renfort de 22.000 hommes, expédié d’urgence par le Gouvernement, permet de reprendre l’offensive et de réduire les poches de résistance. Mokrani est tué, les autres meneurs se rendent.
Dans le reste du pays les mouvements de révolte sont maîtrisés. La répression est très dure : contribution de guerre de 36.000.000 francs or, 446.000 hectares de terres séquestrées, condamnation à mort ou au bagne des principaux responsables.
La peur a été grande et laissera des traces profondes.
Le vice-amiral de Gueydon, nommé Gouverneur Général de l’Algérie, débarque à Alger début avril 1871. Le 29 juillet il crée le comité consultatif de colonisation, le 10 août il adresse à ce dernier une note dans laquelle il écrit : « …l’écueil contre lequel s’est heurtée constamment l’Administration, c’est l’impossibilité dans laquelle elle s’est trouvée d’avoir des terres alloties en assez grande quantité pour faire un appel sérieux à l’immigration. Le Sénatus-Consulte du 22 avril 1863 a porté à la colonisation un coup terrible dont elle ne pourra se relever que par la reprise des terrains donnés aux arabes qui n’ont su témoigner leur reconnaissance pour cette libéralité du Gouvernement français, qu’en levant l’étendard de la révolte et en se livrant au pillage des fermes, à l’incendie des villages et au meurtre des colons européens. Il y a lieu d’espérer aujourd’hui que, grâce à l’application du séquestre, l’Etat rentrera dans la possession des ressources territoriales stérilisées pour ainsi dire entre les mains des indigènes…. ».
Ce même 10 août, devant le comité consultatif de colonisation, le Gouverneur Général de Gueydon déclare : « … l’épreuve douloureuse que vient de traverser la colonie doit être pour tous un grand enseignement [….] il faut nécessairement arriver dans le plus bref délai possible à implanter dans le pays une population européenne assez nombreuse et assez dense pour faire contrepoids à l’élément indigène ; il faut en un mot coloniser sérieusement. »
Lors de la réunion du 7 septembre 1871 le comité propose :
- que le peuplement de l’Algérie par l’immigration européenne devienne une nécessité politique, la conservation de l’Algérie à la France est à ce prix,
- qu’un million d’Européens et surtout de Français fassent équilibre à l’élément indigène,
- que le peuplement s’effectue rapidement par la création de nouveayx centres.
Le comité consultatif poursuit ses réunions et lors de sa séance du 18 janvier 1872 il va aborder la création de villages.
M. Humbert donne lecture du rapport relatif à la proposition faite par Monsieur de Malglaive :
« Messieurs, le Gouverneur Général vous a soumis un rapport dressé par Monsieur de Malglaive, capitaine d’Etat Major, fils du fondateur de Marengo, par lequel, reprenant les projets de son père, il propose d’établir sept villages destinés à assurer la sécurité extrême de la plaine de la Mitidja. Cette question de création de villages doit être envisagée au double point de vue de la sécurité et de la colonisation, conditions qui ont entre elles une telle connexité qu’elles ne peuvent exister l’une sans l’autre. »
Par arrêté du 16 mars 1872 le Préfet d’Alger crée la Commission de Marengo présidée par le capitaine de Malglaive qui va délibérer les 4 et 5 avril 1872 sur la création des centres approuvés par le comité consultatif de colonisation du 18 janvier 1872. Dans le procès-verbal de cette commission, le chapitre qui lui est consacré est intitulé : « Le territoire sur lequel l’établissement du village a été projeté, dépend de la tribu des Béni-Menad. Il est compris dans le ressort de la commune de Marengo pour partie longeant les deux rives du conduit des eaux du barrage de l’oued Meurad et pour le surplus dans l’arrondissement administratif qui a son siège dans cette ville. L’emplacement de ce village a été définitivement fixé sur un point indiqué au plan par une teinte rosée. Il est placé à 4.400 mètres de Marengo sur une éminence suffisamment centrale facile à défendre, et d’où la vue s’étend sur la généralité du pays.
Traversé par le chemin de Marengo à la route d’Alger à Oran, côtoyé par les eaux du barrage, les dépenses urgentes, qui consistent en voies de communication et de conduite des eaux, seraient résolues à peu de frais, notamment l’aménagement des eaux au centre même du village, ne reviendrait pas à plus de 1.000 francs.
Le territoire assigné au village, tel qu’il a été délimité, a une longueur moyenne de 5.000 mètres du Sud au Nord, et de 3.500 mètres de l’Est à l’Ouest. Son exploitation serait donc d’assez bonnes conditions de distances. Sa contenance de 1.762 hectares serait affectée :
1° à l’emplacement du village et à diverses réserves pour 20 ha.
2° à 50 concessions à raison de 25 hectares pour chacune d’elles soit 1.250 ha.
3° à des communaux forestiers et de parcours pour 492 ha.
D’où un total égal à 1.762 hectares.
Ce village, par sa situation et par ses terres, remplirait la double condition de concourir à la sécurité et au peuplement du pays.
En effet, d’une part placé sur la pente des montagnes qui dominent le pays de Marengo et de Bourkika, il rendra les indigènes des Béni-Menad moins osés, en cas de révolte, à s’aventurer dans la plaine. D’autre part, la salubrité due à son altitude et à son orientation, l’importance et la valeur de ses concessions, la proximité du marché de Marengo et les rapides communications de la plaine, assureront le bien être et conséquemment le développement de sa population. »
L’arrêté du Gouverneur Général du 3 mai 1872, ci-dessous, entérine en partie les propositions de la Commission de Marengo, en décidant la création de six centres de population française dont celui d’El-Meurad.
ARRETE DU 3 MAI 1872
Le Gouverneur Général civil de l’Algérie,
Vu l’ordonnance du 21 juillet 1845 ;
Vu le décret du 16 octobre 1871 ;
Art 1. – Il sera immédiatement procédé à la délimitation et aux travaux préalables à l’installation de six centres de population française :
- Aux lieux dits : Iersen et El-Fedjana, sur la route de Cherchell à Alger, à 4 et 12 kilomètres de Marengo.
- Au lieu-dit : Le Nador, à 5 kilomètres de Marengo, sur la route de ce centre à Tipaza.
- Au lieu-dit : El-Meurad, à 4 kilomètres de Marengo, sur l’ancienne route de Marengo à Miliana.
- Aux lieux-dits : Oued-Sebt et les Gouraya, à 24 et 35 kilomètres de Cherchell, sur la route de cette ville à Ténès.
Art 2. – Il sera procédé au peuplement de ces centres de population, conformément aux dispositions du titre 2 du décret du 16 octobre 1871.
Art 3. – Le Directeur Général des Affaires civiles et financières, le Général commandant la division et le Préfet du département d’Alger sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent arrêté, qui sera inséré au Bulletin Officiel du Gouvernement Général.
Fait à Cherchell, le 3 mai 1872.
Vice-amiral Comte de Gueydon
En réalité le Gouvernement Général a réduit le nombre de concessions, de 50 à 25, sur 1.060 hectares.
Pierre LAGET
Dernier Maire de Meurad
Extrait de « Meurad un village de peuplement 1872-1888 »
Note de lecture
Approche très fouillée de cette monographie sur la création du village tant du point de vue de l’origine des terrains attribués aux Français algériens, aux Français métropolitains, aux Indigènes, des textes de lois qui ont régi les attributions de concessions, que des conditions nécessaires aux attributaires. L’auteur, dernier maire de Meurad, nous relate avec précision les conditions de vie de ces familles, à leur arrivée sur des terrains souvent hostiles, les différentes périodes de peuplement avec leurs aléas dus aux remplacements par suite de non respect d’obligation de résidence ou de non présentation à la date prévue, par exemple.
Nous suivons ainsi l’évolution du village avec la construction de l’école, de la mairie, de l’église, l’organisation des offices. Nous découvrons les conditions de survie souvent très difficiles des familles qui, à cette époque, étaient souvent des familles nombreuses. C’est ainsi que nous apprenons que l’enseignement était assuré par les sœurs de St Vincent de Paul, communauté qui a beaucoup œuvré pour ce village : soins, conseils, secours, et a ainsi largement contribué à la prospérité du village dont l’auteur a été l’un des acteurs.
La rigueur documentaire de cet ouvrage, avec des éléments comme l’ « Etat de lotissement du village en 1872 », la reproduction de textes officiels, d’affiches, de cartes, plans, croquis ou lettres, n’obère en rien son intérêt, nous permettant de comprendre ce long cheminement administratif que nécessitait la création d’un village de colonisation.
L’auteur* continue son travail, par une monographie sur la vie quotidienne de Meurad au XXème siècle
* M. LAGET, recherche tous documents, photos, anecdotes et récits personnels sur le village.
Marie-Annick Gibergues
Mémoire Vive n°47