Les bombardements de Bône et Philippeville en 1914

Bône et Philippeville : les premiers morts de la guerre mondiale avec les bombardements des croiseurs allemands Breslau et Goeben, le 4 août 1914.

 « C’est le 4 août 1914 à 4 h 08. Le premier coup de canon est tiré par le croiseur allemand Breslau sur Bône. Un agent des Ponts et Chaussées, André Gaglione est tué par un obus. C’est la première victime française de la guerre 1914-1918, une heure plus tard le croiseur Goeben bombardait Philippeville ».1

Une action préméditée ?

Sur ordre du contre-amiral Wilhem Souchon, commandant la division méditerranéenne de la "Kaiserliche Marine", les deux croiseurs Goeben et Breslau regagnent Messine le 2 août où ils sont ravitaillés, en charbon et vivres, par les navires allemands en rade. Le 3 août 1914, à 1 heure du matin, les deux croiseurs quittent Messine, destination les côtes algériennes alors que la guerre ne sera déclarée qu’à 18 heures ! Leurs missions : « attaquer l’ennemi, sur les côtes d’Algérie pour l’empêcher de transporter ses troupes nord-africaines en France », et montrer également aux indigènes que la France est vulnérable…

Le Breslau

Le bombardement de Bône par le croiseur Breslau (commandant Kettner)

Ce 4 août 1914, à 3 heures du matin, le guetteur prévenait le pilote de garde qu’il venait d’apercevoir un navire de guerre venant de l’Est, se dirigeant lentement tous feux éteints vers le port. Celui-ci présenta son travers bâbord à l’entrée de la passe et ouvrit le feu sur la ville, il était exactement 4 heures 08.

Le feu était particulièrement dirigé sur les navires ancrés dans le port. Au même moment un agent des Ponts et Chaussées, André Gaglione, trouva la mort en allant au bout de la jetée procéder à l’extinction d’un phare dit à flamme. Le vapeur Saint Thomas fut principalement visé et reçut onze obus de calibre 105mn. Quatre hommes d’équipage furent blessés. De nombreux bâtiments, notamment la gare, le palais Calvin et le palais consulaire furent endommagés par les projectiles qui blessèrent cinq personnes. On évalue à 140 le nombre d’obus tirés ; nombre confirmé par le témoignage de Roger Rosso.

Témoignage de Roger Rosso 2                    

« Ce 4 août 1914, vers 4 heures du matin, ma mère me réveilla pour venir assister à des tirs en mer ! Toute la famille se précipita pour assister à ce spectacle qui s’offrait à nous. Le navire était assez près pour distinguer à la jumelle le fiévreux branle-bas à bord du croiseur. Mon père marquait sur la palissade le nombre de salves tirées. Pendant vingt minutes nous assistâmes à cette scène irréelle avant d’être informés de la déclaration de guerre. Avant de disparaître, le croiseur tira encore cinq salves sur le sémaphore du Cap de Garde sans aucun dommage important. Au total 140 obus tirés n’avaient pas atteint les centres vitaux de la ville ».

Karl Dönitz

Karl Dönitz, que Hitler désigna par testament comme son successeur, était officier des transmissions, comme lieutenant, sur le SMS " Breslau" lors de cette mission.

Contre-Amiral Souchon, André Gaglione et Karl Dönitz                                             

Le bombardement de Philippeville par le croiseur Goeben 1                

Il est 5 heures du matin, quand le Goeben, battant pavillon russe, arrive à grande vitesse devant Philippeville, présente son flanc tribord et avec son artillerie moyenne, dirige son feu sur la ville.

Au premier tir, à bord du croiseur, le pavillon russe est amené et remplacé par celui de l’Allemagne. Aussitôt la batterie d’El Kantara, la seule opérationnelle, réplique. Quatre obus, mais trop courts sont tirés. Le croiseur qui n’est qu’à 4 500 m, devant cette réaction inattendue, prend rapidement le large, après un tir de 36 obus de 150mn qui n’a duré que quatre à cinq minutes environ.

Les objectifs visés étaient : la gare, le port, la caserne et l’usine à gaz. Le nombre des victimes aurait pu être réduit si un obus n’était pas tombé sur un hangar abritant un détachement du 3e zouave en partance pour la métropole, celui-ci fit treize morts et une vingtaine de blessés. Trois civils ont également trouvé la mort au cours de ces bombardements. Dans le port, trois balancelles furent détruites et le vapeur anglais "Isle of Hastings" reçut un obus au pied de sa cheminée.

Bombardement de Philippeville

Le canon N° 21 au musée de l’armée

Le canon de la batterie d’El Kantara portant le N° 21, qui tira le premier coup de feu sur l’ennemi, est entré dans l’histoire. Il fut transporté le 30 septembre 1919 aux Invalides.

À des fins de propagande

La presse allemande, « Der Tag, Le Jour de Berlin »  s’empare de l’événement et brodent sur les faits. Philippeville et Bône auraient été détruites sous le feu des deux croiseurs…

La propagande germanique, toujours active, fait frapper des petites médailles en argent à l’occasion de ce bombardement. L’avers de la médaille portant l’inscription : « Dieu protège nos armes » et reproduit la statue ailée qui surmonte la colonne de la Victoire érigée à Berlin en 1873 pour commémorer la guerre de 1870. Sur le revers, elle porte l’inscription :

« Bombardement de Bône et Philippeville par les croiseurs allemands Breslau et Goeben, 4 août 1914 ».

La poursuite des deux croiseurs

La fuite des deux croiseurs

« Compte tenu de la disproportion qui existait en Méditerranée entre les forces navales allemandes et celles des Alliés, l’ordre a été donné aux deux navires de rejoindre au plus vite Constantinople, avant l’entrée en guerre de la Grande Bretagne, (le 4 août) ».

Après s’être ravitaillés à Messine le 5 août, les deux croiseurs allemands font route, dans l’après-midi du 6 août, en direction de Constantinople. Ils sont pris en chasse par le croiseur léger "Gloucester" qui engage ses deux adversaires le lendemain vers midi. Touché à deux reprises et manquant de combustible, le croiseur anglais abandonne la poursuite vers 16 heures. Après un ravitaillement en mer Egée près de Naxos, le 10 août au matin, le Goeben, sous les ordres du Vice-amiral Souchon se présente à l’entrée des Dardanelles où un torpilleur turc lui fait franchir les barrages de mines. La Turquie étant en paix avec l’Angleterre, Londres proteste. La Turquie étant officiellement un État neutre, ne pouvait abriter les navires belligérants plus de vingt-quatre heures selon les traités internationaux. Pour contourner cette obligation, et sous le couvert d'une vente fictive, le Goeben et le Breslau passèrent sous pavillon ottoman.

Le Goeben est rebaptisé Sultan Yavouz Selim et le Breslau, Midelly ; les deux croiseurs conservent leurs équipages, leurs officiers. Le vice-amiral Souchon est nommé commandant en chef de la flotte impériale turque. Il s’efforcera par tous les moyens possibles de faire entrer la Turquie en guerre aux côtés de son pays et prendra l’initiative de commencer les hostilités sans motif valable. La riposte ne tarde pas et le 26 septembre 1914, la Turquie se range officiellement aux côtés des Allemands.

La fin du Breslau

« Le 20 janvier 1918 le Goeben et le Breslau attaquent et coulent par surprise deux bâtiments anglais (du type monitor) le Reglan et le M8. Sur les 312 hommes d’équipage des deux unités, 172 trouvent la mort dans ce rapide combat. Un contre torpilleur anglais le Lizard, rejoint par le destroyer Tigresse, prennent en chasse le Breslau. À 7 heures, alors que le Breslau est à environ 6 milles au sud de Képhalo, une forte explosion est observée à la hauteur de l’une de ses cheminées. Deux minutes plus tard, trois nouvelles explosions se produisent, il venait de rentrer dans un champ de mines et à 7 h 10 il coulait au large d'Imbros. 330 hommes, dont le commandant de bord, trouvèrent la mort pendant le naufrage et 133 hommes furent envoyés en captivité en Angleterre.

Le Goeben

La fin du Goeben

Lors de ce combat naval du 20 janvier 1918, le Goeben heurta une mine, s’échoua près de Nagara et subit un bombardement de l’aviation anglaise. Mais le croiseur a la vie dure et réussit à regagner Constantinople pour sa remise en état.

Mais les événements se précipitent, c’est la victoire des Alliés, le Goeben est attribué à la France.

M. Georges Leygues, ministre des armées écrit aux députés d’Algérie que l’ex-croiseur allemand serait envoyé à Philippeville, afin que les populations européennes et indigènes puissent le visiter. Par décision de juillet 1920, le Goeben porte le nom de Roussillon, mais après le traité de Lausanne – 24 juillet 1924 – le Goeben est abandonné à la Turquie et reprend son ancien nom de Yavouz. Le coût des réparations est trop élevé pour le rendre opérationnel. En 1948 il sert de bateau musée dans le port d’Izmir et, en 1970 sera vendu pour être démoli.

 

Données techniques des deux croiseurs

- Le SMS Breslau est un croiseur léger de la Marine impériale allemande, appartenant à la classe Magdeburg, mis sur cale en 1910 et lancé le 16 mai 1911

  • Longueur : 136 m
  • Largeur : 14 m
  • Tirant d'eau : 5,48 m
  • Déplacement : 5 500 tonnes à pleine charge
  • Mode de propulsion : à turbines
  • Vitesse : 27,6 nœuds
  • Blindage : 60 mm
  • Armement : 12 × 105 mm
  • Équipage : 370 hommes

- Le SMS Goeben est un croiseur de bataille construit pour la Marine Impériale allemande (Kaiserliche Marine). Avec le SMS Moltke, ils forment la classe Moltke. Il est baptisé du nom du général prussien August Karl Von Goeben (1816-1880). Le SMS Goeben est construit par les chantiers Blohm & Voss de Hambourg. Il est mis à l'eau le 28 mars 1911. À sa mise en service, le SMS Goeben fut affecté à la Division de la Méditerranée (Mittelmeerdivision) de la Marine Impériale allemande.

- Longueur : 186,50 m

- Tirant d’eau : 9,20 m

- Déplacement : 25 400 tonnes à pleine charge

- Propulsion : 2 turbines, 4 hélices

- Puissance : 52 000 CV

- Vitesse : 28 nœuds maxi

- Armement : 12 x 150 mn et 12 x 80 mn

4 tubes lance-torpille (500mn)

 

Yves MARTHOT, extrait du Mémoire Vive n°56

 

Bibliographie : ouvrages consultables au CDHA

1 - Jean Mélia, « Les Bombardements de Bône et Philippeville », Berger-Levrault éditeurs, Paris 1927.

2- Roger Rosso, « Pik un siècle », Aix en Provence, 2006

3- B. Crochet – G. Piouffre, « La première guerre mondiale », Nov’édit, Paris, 2008.

- Fonds iconographique du CDHA.