Henri Clamens pensionnaire de la Villa Abd-el-Tif 1905-1937

Henri Clamens

Genèse d’une Institution phare : La Villa Abd-el-Tif

La Villa Abd-el-Tif qui accueille, en 1930 Henri Clamens, est une résidence de campagne d’un dignitaire du pouvoir deylical, un bel exemple d’une architecture hispano-mauresque du XVIIIe siècle, élevée sur les hauteurs d’Alger.

Financée par Charles Jonnart, Gouverneur général de l’Algérie la Villa, elle est parrainée par Léonce Bénédite, président de la Société des peintres orientalistes et conservateur du Musée du Luxembourg qui sélectionne les futurs pensionnaires.

La création de la Villa Abd-el-Tif en 1907 répond aux aspirations du temps. Les Abd-el-Tif, à la différence de leurs anciens, voyageurs temporaires en Algérie, vont renouveler, dans cet endroit approprié, la vision d’un Orient non plus rêvé mais désormais vécu. Quatre-vingt-sept artistes métropolitains, protégés officiels de l’administration, viennent animer l’histoire de cette institution artistique originale, parfaitement autonome, libérée de tout académisme de 1907 à 1962, dans le cadre historique de la présence française.

Les Abd-el-Tif vont emprunter la route héroïque des grands maîtres du XIXe, maîtres incontestés du premier grand art colonial, leurs œuvres vont s’inscrire dans le programme de présentation de l’art colonial africain en 1931 à Paris.

Café maure

Henri Clamens Prix Abd-el-Tif en 1930, le climat artistique en Algérie

À vingt-cinq ans, en 1930, Henri Clamens reçoit le Prix Abd-el-Tif, il parcourt l’Algérie et le Maroc.

L’artiste appartient à la deuxième génération de pensionnaires.

Considérés comme les représentants d’un « art du juste milieu ». certains paieront un lourd tribut à la guerre, d’autres vivront les deux conflits, celui de 1914-1918 et celui de 1940-1945. Ces artistes vivent l’âge d’or de l’histoire de l’Algérie de façon différente.

Au service de l’Algérie, prolongement de leur mère patrie au-delà de la Méditerranée, ils s’en font les propagandistes. Confrontés au problème de la lumière, la nature algérienne devient pour eux le cœur du débat. Tous vont contribuer à apporter à l’art français un afflux nouveau d’impressions inédites et fortes.

Les fêtes du centenaire en 1930, célébrées de façon éblouissante, témoignent de la confiance en l’avenir. L’Algérie, à partir de cette époque, œuvre en faveur de sa propagande, en France et à l’étranger à la fois sur le plan touristique, économique et culturel.

Durant cinq années de Touggourt à Biskra, de Miliana à Fès et à Marrakech, Henri Clamens s’attache à rendre toute la poésie et toute la grandeur des paysages d’Afrique du Nord

La cour de la villa Abd el Tif

Frédéric Lung [1], collectionneur et mécène, un de ses fervents admirateurs, lui achète un grand nombre de toiles en Algérie. Clamens possède un don de dessinateur étonnant. Le peintre Edy-Legrand le rencontre à Fès dans son atelier situé dans le jardin de Bou-Jeloud en 1934, il témoigne : « De tous les jeunes peintres que j’ai connu, il était le seul à avoir cette tendance à l’universel, qui est le propre des grands artistes. »

Atteint de tuberculose sa santé se dégrade, il doit entrer en sanatorium et il écrit à son ami resté au Maroc : « Quand on a compris que la tâche de la vie est d’irradier une énergie créatrice, énergie qui seule affermit et transfigure, qu’il est dur de réaliser son impuissance les bras liés. » Et plus tard en 1935 : « Je me reporte par la pensée, dans tous les beaux endroits de Fés, avec tant d’émotion et de tristesse, aujourd’hui si loin, enchaîné par la maladie à la vie quotidienne morte. »

Ses réflexions sur les mouvements artistiques sont révélatrices de son intériorité. Il observe : « L’Impressionnisme nous a tous irrémédiablement perdus en nous enchaînant stupidement au motif. L’habitude est devenue insurmontable, elle a bêtement compliqué la peinture, aux dépens de l’art qui ne peut commencer qu’avec la puissance de rendre sensible et présent le monde invisible du mystère, l’âme ! Chez Corot, la recherche d’ordre pictural est partout, mais la valeur sentimentale attachée à l’objet domine, à l’encontre de Cézanne. Corot est l’inventeur de la peinture sensible ; il fut le peintre le plus ému devant l’objet qui fût jamais. En lui l’artiste de tous les temps se retrouve mais l’homme qui aime la nature aussi. »

Enfants à Tlemcen

Les Expositions

Henri Clamens, durant sa courte vie, participe aux Expositions artistiques de l’Afrique française qui s’organisent de 1928 à 1957 dans les principales villes de l’Afrique du Nord, Tunis, Casablanca, Fès, Alger, Oran, Constantine et en métropole dans les villes concernées par les relations avec l’Algérie. Tous les artistes exposés ont des caractéristiques communes. Indifférents aux théories intellectuelles, ils se tournent vers la nature avec un goût pour la simplification.

Les œuvres d’Henri Clamens sont présentées également à l’Exposition de l’Association Française d’Expansion et d’Échanges artistiques, en 1934 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.

Un mouvement artistique auquel appartient Henri Clamens s’est formé. Désormais l’orientalisme devient plus particulièrement africain. L’originalité des types humains et les spectacles naturels exercent sur eux une séduction profonde. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’Algérie, province de l’art français amorce son autonomie. Jean Alazard observe : « La villa Abd-el-Tif est une institution qui honore notre temps », les peintres et sculpteurs qu’elle a accueillis apportent une note personnelle dans cette « École de Paris » à laquelle ils appartiennent. Il faut y ajouter une « École d’Alger » qui se modèle quelque part sur l’École de Paris, puisque les échanges artistiques s’intensifient. »

Cette deuxième génération de pensionnaires vit la dure réalité de la guerre ; en réaction leurs thèmes artistiques témoignent de la vie et des plaisirs. Tous appartiennent à la tradition figurative et restent étrangers aux mouvements « avant-gardistes « qui se déchaînent en France à partir du début du siècle. Catherine Bouché[2] dans le catalogue de l’exposition Un visage de l’exotisme au XXe siècle publié en 1987, surnomme la génération d’artistes venue après la guerre de 1914-1918 contemporains des révolutions esthétiques qui la suivirent, « les oubliés de l’art ». Les Abd-el-Tif y sont associés.

Après son expérience exceptionnelle en Afrique du Nord, le 2 novembre 1937, Henri Clamens meurt au sanatorium des Escaldes dans les Pyrénées-Orientales. Le conservateur du musée national des Beaux-Arts d’Alger, Jean Alazard lui consacre en 1939 une exposition. À cette occasion, il écrit : « La vie si brève, d’Henri Clamens est un exemple que l’on doit méditer. Elle a été remplie par l’amour de la peinture et ennoblie par le sentiment du Divin. »

Élisabeth CAZENAVE
Docteur ès Lettres
Présidente de l’Association Les Abd-el-Tif

Extrait du Mémoire Vive n°43


[1] Frédéric Lung (1886-1926) Arrivé en Algérie en 1885, il y développe l’un des plus importants négoces de vins du pays et sans doute la plus grande collection d’art après celle de Louis Meley. La collection Lung fera l’objet d’une donation aux musées nationaux en 1961. Une partie de la donation est déposée au musée des Beaux-Arts de Bordeaux.

[2] Catherine Bouché : «  Un visage de l’exotisme – du musée des Colonies au musée de la France d’outre-mer à Paris, 1931-1960 ». Exposition Palis des Beaux-Arts Charleroi 1987.

Jardin à Miliana