Graines de mémoire : un projet d'envergure pour la MAFA et la GRFDA

Le CDHA a eu le plaisir d'accueillir les conférences-débats organisées conjointement par la MAFA et le GRFDA, le 26 novembre 2022 au Conservatoire. L'objectif de la journée était de présenter le nouveau projet des deux associations : Graines de Mémoire, mémorial digital des disparus de la guerre d'Algérie. Se sont succédées, les conférences de Frédéric TAVERA -initiateur du projet; Jean-Félix VALLAT- président de la MAFA; Roger VÉTILLARD- historien; Joseph PEREZ -président du CDHA; Guy PERVILLÉ, historien.

Pour voir ou revoir les conférences présentant le projet Graines de mémoire : cliquez ici !

La mémoire des disparus et des assassinés en Algérie : un ferment pour l’avenir.

1)Notre mission et ses origines                    

19 mars 1962 : les accords d’Evian viennent d’être signés et le cessez le feu entre en vigueur en Algérie.

3018 civils français d’Algérie seront enlevés par le FLN entre cette date et le 31 décembre 1962, soit plus qu’au cours de la période 1954-1962[1].

652 militaires, essentiellement du contingent, seront pareillement portés disparus au cours de la même période.

1700 civils sont toujours portés disparus.

Ils ont eu droit à une première reconnaissance officielle ; grâce aux travaux de l’historien Jean-Jacques JORDI, la commission ’’disparus’’, sous l’égide de l’Etat, a rendu possible la mise en place le mémorial du Quai Branly sur lequel défile la liste des noms de ceux qui sont morts pour la France.

Notre groupe de recherche GRFDA s’est assigné comme mission de faire la lumière à propos de toutes les disparitions.

En poursuivant son action auprès des services gouvernementaux, le GRFDA contribue par ailleurs aux objectifs suivants :

  • L’exercice légitime du droit de savoir[2]
  • Le traitement par les Etats français et algérien des conséquences morales et matérielles des situations créées par la signature des accords d’Evian sur les populations dont ils avaient la responsabilité
  • La recherche des emplacements des dépouilles dans les fosses communes et les charniers

Ce drame vieux de plus d’un demi-siècle est toujours accablant pour les familles. Il pèse lourdement sur l’histoire de la guerre d’Algérie et constitue toujours un obstacle à l’apaisement des mémoires.

Conscients de l’impact des générations antérieures sur les vivants et de la nécessité de faire perdurer leur souvenir au-delà des commémorations récurrentes, nous avons recherché une solution forte et accessible qui nous permette de répondre à cet objectif.

C’est ainsi qu’a pris corps notre projet d’installer le site internet GRAINES DE MEMOIRE.

2)Motivations pour la création du site GRAINES DE MEMOIRE

Un peuple que l’on prive de son passé n’a pas d’avenir.

Inspirée d’une formule de Churchill,[3]cette expression s’applique aux français d’Algérie, peuple déplacé une première fois, pour asseoir une conquête et propager des idéaux qui le dépassaient et une deuxième fois par la force, au prix de disparitions, d’assassinats et de déplacements forcés.

Beaucoup a été fait pour que cette période historique de 132 ans soit vouée aux gémonies et que ce peuple joue pleinement son rôle de bouc émissaire.

Aussi, pour éviter que ne se perpétuent les désordres matériels, psychologiques et affectifs qu’entraîne l’instauration d’une amnésie générale à propos de cette période et de ces personnes, nous avons recherché une solution qui permette d’inscrire avec force et détermination leur souvenir.

3)L’exemple des Stolpersteine

‘’Les vivants sont destinés à mourir ; les morts sont destinés à vivre’’ … dit un proverbe hébreu.

Nous avons pris exemple sur la mise en place des stolpersteine par la communauté juive dans toute l’Europe pour mettre en œuvre des hommages semblables en faveur des personnes disparues, assassinées ou déplacées d’Algérie, victimes du terrorisme du FLN.

La communauté juive, seule culture humaine à avoir connu la déportation de masse à visée exterminatrice totale montre, une fois de plus, la voie : celle du souvenir ferme, déterminé, sans faille et sans relâche, pour rappeler la mémoire de ses ancêtres, ce dont ils étaient porteurs, leur présence, leur force, quelle que soit l’adversité.

C’est ainsi que depuis 1997, sous l’égide de Gunter Demnig, a été lancée une action symbolique de haute portée qui se traduit par l’implantation de petits pavés surmontés d’une couche de laiton, encastrés à même le sol, dans l’espace public, face aux maisons dans lesquelles ont vécu ces êtres humains déportés puis assassinés.

Inscrits à la surface : le nom, les dates de naissance, de déportation, de mort, ainsi que le lieu du supplice.

Stolpersteine, mot en langue allemande signifie ‘’les pierres sur lesquelles on trébuche’’, celles qui suscitent des questions.

 

4)Description du site internet GRAINES DE MEMOIRE

En reprenant cette idée, et en tenant compte de l’impossibilité d’installer les mêmes pavés en face des maisons en Algérie, en raison de l’opposition probable des pouvoirs algériens en place, nous avons opté pour une autre voie : celle du digital, à la fois immatérielle et éminemment symbolique, qui s’intitule GRAINES DE MEMOIRE.

Ainsi, nous prévoyons de réaliser un site internet qui présentera, au moyen d’une carte interactive, les noms, adresses et rappel de l’histoire des familles ayant souffert du terrorisme du FLN, et ce pour chaque village ou ville d’Algérie concerné.

L’appropriation sociale de cet inventaire suppose que nous organisions avec régularité, comme cela est fait avec les stolpersteine, des gestes mémoriels récurrents qui pourraient prendre la forme de cérémonies virtuelles.

Ceci nous permettra d’engager des opérations de sensibilisation et de communication en direction des différentes catégories de personnes.

L’ouverture à d’autres catégories (militaires, civils algériens, harkis) demandera de longues réflexions avant arbitrage, mais ferait sens si un consensus se dégageait en faveur de cette initiative, en la considérant comme contributive à un apaisement général.

En pointant avec force et détermination ce qui interroge au plus haut point dans la façon d’être des humains et les pousse parfois à la destruction matérielle et surtout symbolique de l’autre, nous espérons ainsi contribuer à un avenir meilleur des civilisations.

Cette initiative a d’ores et déjà reçu le soutien de plusieurs parties prenantes, dont la Fondation pour la mémoire de la Guerre d’Algérie des Combats du Maroc et de Tunisie. Plusieurs collectivités locales et des associations de militaires ont également prévu de nous accorder leur soutien matériel.

Arcachon, Décembre 2022

Colette GRATTIER DUCOS ADER, présidente GRFDA

Jean Félix VALLAT, vice-président GRFDA

Frédéric TAVERA, vice-président délégué GRFDA

 

 


[1] Référence Louis de Broglie, secrétaire d’état aux affaires algériennes en 1963

[2] Article 24 de la Convention Internationale sur les disparitions forcées, adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 20 décembre 2006 et signée par 60 pays à Paris le 6 février 2007

[3]Un peuple qui oublie son passé n’a pas d’avenir