EVIAN, trois semaines plus tard

 

EVIAN, trois semaines plus tard…

 

Trois semaines plus tard, les Français d’Algérie sont exclus du referendum

Ils ne font déjà plus partie du peuple français !

Ce qui est appelé à tort « accords d’Evian », seul le cessez-le feu devant entrer en vigueur le 19 mars 1962 à 12 heures ayant fait l’objet d’un accord, s’est traduit concrètement par des « déclarations gouvernementales » publiées le 19 mars 1962.

Le 8 avril 1962, est organisé, en métropole seulement, une consultation du peuple français par voie de referendum sur « Le projet de loi concernant les accords à établir et les mesures à prendre au sujet de l’Algérie, sur la base des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962, qui ne sont donc pas en tant que telles le fruit d’un accord, mais bien le point de départ pour de futurs accords !

Les résultats de ce referendum sont publiés par le conseil Constitutionnel, par décision N° 62-7 REF du 13 avril 1962 :

Électeurs inscrits :               27.582.072
Votants :                                20.779.303 (75,3% des inscrits)
Suffrages exprimés :           19.675.497 (94.7% des votants)
Majorité absolue :                  9.837.749
Oui :                                       17.866.423 (90,8% des suffrages exprimés)
Non :                                        1.809.074
 

Un nouveau premier ministre est nommé le 14 avril, un nouveau gouvernement le 15.

Georges Pompidou vient remplacer Michel Debré le 14 avril. Dès le 15 avril sont nommés 21 ministres et sept secrétaires d’Etat, dont deux auprès du premier ministre. On y retrouve notamment :

 

La politique générale du gouvernement Pompidou est soumise au verdict de l’assemblée nationale le jeudi 16 avril :

Principaux extraits de l’allocution de Georges Pompidou concernant l’Algérie

…/… « Depuis des années, la politique de notre pays est dominée par la guerre d’Algérie… Mais, pour la France, l'Algérie est tout autre chose qu'une colonie. C'est une terre liée à la nôtre depuis plus de 130 années, et sur laquelle vivent un million de nos compatriotes... En fin de compte, au terme de sept années de souffrance, le cessez-le-feu est intervenu. Les dirigeants de la rébellion… ont accepté d'envisager l'avenir de l'Algérie sous la forme d'une coopération étroite avec la France. »

« Dans cette Algérie, nos compatriotes doivent avoir, et eurent, la première place que leur vaudront non pas tellement les droits acquis, mais leurs capacités, leur amour de la terre algérienne, leurs affinités, en dépit des heurts actuels, avec la communauté musulmane. »

« Tout cela a fait l'objet de ce qu'on appelle les accords d 'Evian. Le Gouvernement les a publiés ; le pays les a ratifiés par une majorité écrasante, avalisant ainsi la politique conçue et menée à bien par le général de Gaulle. Le monde libre les a accueillis comme une victoire de la France ».

…/… « Ces accords seront appliqués. Ils le seront jusqu'à leur terme. Ils le seront dans les délais voulus. Telle est la première résolution du Gouvernement. »

« La seconde, c'est de se tourner vers les Français d'Algérie et de leur dire : ce qui est arrivé était sans doute inévitable. La situation, en tout cas, est aujourd'hui irréversible. L'heure des regrets est révolue. Tournez-vous vers l’avenir. Ne compromettez pas par des actes de folie désespérés le rôle qui est le vôtre, d'être un lien permanent entre la métropole et l'Algérie future, entre la France et le Maghreb, entre notre monde humaniste et chrétien et le monde musulman.»

« Les accords intervenus vous donnent les garanties nécessaires pour vos personnes et pour vos biens, et la France veillera sur le respect de ces garanties jalousement et fermement.»

« Si certains d'entre vous, si des Musulmans aussi, préfèrent quitter cette terre d'Algérie où pourtant tout vous attache, la métropole vous accueillera. Des mesures ont été prises ; elles seront complétées, pour que votre installation soit facilitée au maximum.»

Principaux passages de l’intervention de Mr Robert ABDESSELAM, député d’Alger

Monsieur Robert Abdesselam est alors député d’Alger - banlieue sur la liste d’Action pour l’Algérie Française et la Promotion Musulmane pour l’Intégration. Au sein de l’Assemblée nationale, il est membre du groupe « Unité de la République ».

Il s’est inscrit à la tribune, présidée par Jacques Chaban-Delmas, pour répondre à la déclaration du premier ministre sur l’Algérie, notamment pour dénoncer la non application des « accords » d’Evian sur le terrain.

Il revient d’abord sur la procédure choisie :

« Ce n'est pas le principe même des négociations qui nous a heurtés. Beaucoup d'entre nous l'avaient accepté. Ce n'est pas non plus l'autodétermination, ni l'Algérie algérienne, auxquelles je m'étais personnellement rallié dès l’origine. Mais c'est tout le reste, tout ce qui a été promis et qui n'a pas été tenu, tout ce qu'on ne devait pas faire et qu'on a fait — on en a fait davantage encore — tout ce qui pouvait être fait et qui n'a même pas été tenté ! »

« Pour arriver à une décolonisation à laquelle se heurte la réalité, on a tranché dans le vif d'une population ; on l'a niée, on a fait abstraction de ce sentiment de double appartenance que chaque Algérien ressent si profondément. On a permis à une seule tendance — et, bien entendu, la plus hostile — d'exercer son contrôle et cela avec l'aide de notre armée qui demeurera en Algérie le temps nécessaire à l'instauration du pouvoir FLN On a fait en sorte qu'il n'existe aucune possibilité pour quiconque, en Algérie, en dehors d'elle, avant ou après l'autodétermination, de participer au pouvoir et à la construction de l'État algérien.

Puis il va dénoncer les résultats d’Evian, au bout d’un mois seulement ! Ci-dessous, on trouvera quelques extraits seulement de sa longue intervention :

« Les résultats, monsieur le Premier ministre, sont déjà éloquents. Devant le chaos qui se crée avec une vertigineuse rapidité, la France ne pourra demain refuser son arbitrage ; mais elle arbitrera alors dans les conditions les plus désastreuses. »

« Aussi détestables que soient les accords d'Evian, certains auraient peut-être tenté de les jouer, s'ils avaient été réellement appliqués. »…/…

« Vous verrez que les résultats d'un mois de cessez-le-feu ne sont pas particulièrement encourageants. »

« Votre allié d'aujourd'hui — comme vous-même d'ailleurs — n'a cessé de les violer, tantôt sciemment, tantôt par impuissance. Les violations par le F .L.N. d'abord ou tout au moins par ceux qui s 'en réclament. Elles sont, je vous le concède, monsieur le Premier ministre, les plus nombreuses mais aussi les plus graves, douze par jour, en moyenne d'après les BRQ du général Ailleret, sur le plan militaire, sans parler bien entendu du reste. »

« Il sera mis fin à toute action armée a, dit l'article de l’accord sur le cessez-le-feu ».

« Or, de temps à autre, que lit-on dans ces mêmes BRQ ? Qu'une opération s'est poursuivie le long d'un barrage contre des forces de l ' ordre à l’intérieur. On apprend aussi que telle ou telle unité a été attaquée par l'ALN, que quelques militaires ont été tués. »

« Aux termes de l'article 3 il était convenu que « les forces combattantes du FLN se stabiliseraient à l'intérieur des régions correspondant à leur in plantation le 19 mars et que les déplacements individuels de ses membres se feraient sans armes ».

« Or que s'est-il passé, que se passe-t-il aujourd’hui ? Dès le 20 mars, des unités de l'ALN descendaient dans les villages par petits groupes et en armes. S'enhardissant peu à peu, elles se sont mises à déplacer des unités entières allant parfois jusqu'à 100 ou 150 hommes, à établir des barrages, à contrôler le trafic, à organiser des réunions. Lorsqu'elles ne viennent pas aux populations, ce sont celles-ci qui viennent à elles, avec grand déploiement d'emblèmes et de drapeaux, avec des offrandes traditionnelles aussi. De temps à autre, elles organisent sur place le méchoui de la victoire auquel elles convient parfois, me dit-on, les commandants de secteurs. Je m'abstiendrai, monsieur le Premier ministre, afin de ne pas lasser l 'Assemblée, de citer un trop grand nombre de faits précis, mais plus de cinquante figurent à mon dossier, lequel est probablement fort incomplet. »

« M. le ministre d'Etat chargé des affaires algériennes, dont je regrette l'absence ce soir, ne me démentira pas puisqu'il n'y a pas un message, des préfets au haut-commissaire, qui ne mentionne de tels faits. »

« Avez-vous protesté contre de pareilles violations ? Avez-vous réuni la commission d'armistice mise sur pied avec grandes difficultés à Rocher-Noir ? Avez-vous prescrit les enquêtes prévues à l'article 7 ? »

« Je sais bien que, parfois, une unité des forces de l'ordre désarme quelques individus ou essaye de faire entendre raison à un chef local mais faute de pouvoir tirer — car on m'a dit que chaque soldat n'aurait qu'un fusil- et cinq cartouches — elle ne peut le plus souvent que s'incliner. »

Au surplus, l'autonomie des willayas est telle, l'anarchie qui y règne est si profonde que les officiers de l'ALN représentant Tunis auprès des commissions d'armistice ne peuvent se faire entendre des chefs locaux . Encore heureux quand ceux-ci acceptent de les recevoir.

« J'ai des ordres de mon gouvernement m'interdisant tout contact avec le représentant des forces de l'ordre, déclarait le chef de la mintaka 31, Feddal Amini, au sous-préfet de La Fayette qui s'était entremis afin d'éviter un incident grave.

« En réalité, nous en sommes arrivés à une situation inverse de celle qui est prévue par Ies accords. C'est l'ALN qui occupe effectivement toute l'Algérie et l'armée française qui se stabilise dans des régions de stationnement. »

« Sur le plan militaire, encore, il avait été convenu à Evian que les soldats algériens du contingent seraient versés dans la force locale ainsi que les G . M. S. — groupes mobiles de sécurité — tandis que les harkis, les moghzanis, les groupes d'autodéfense seraient soit désarmés, soit conservés comme unités supplétives ».

« Jamais, à ma connaissance, il n ' avait été prévu que les uns et les autres seraient appelés à grossir les rangs de l'ALN. Or c'est à une cadence de cent à cent cinquante par jour qu'ils désertent sur l'injonction comminatoire des chefs locaux, emportant en moyenne deux fois leur armement individuel. Même l’encadrement est prévu puisque, le 10 avril, vingt élèves officiers de l'école de Cherchell ont également déserté, sans parler de bon nombre de sous-officiers ».

« En Kabylie, dans le Titteri, dans l'Orléansvillois, dans le Sud — il doit en être de même dans les autres régions de l'Algérie — l'ALN invite les Algériens à déserter en masse. Tantôt, c'est sous la menace, menace, d'ailleurs, mise à exécution même pour ceux qui ont obtempéré, car il n'est pas rare de retrouver les cadavres de moghzanis ou de harkis déserteurs, préalablement soulagés de leurs armes. Tantôt, comme à Marengo, le 1er avril, c'est sous forme de conseil dilatoire : Engagez-vous dans la force locale, disait un tract, et, par la suite, vous déserterez avec vos armes, de façon à renforcer l'ALN et à livrer un dernier combat à la France, de manière à accéder à l’indépendance par les armes. »

« Car c'est bien de cela qu'il s'agit, monsieur le Premier ministre. L'ALN veut sa victoire militaire. Elle a, depuis un mois, plus que doublé son potentiel en hommes, certainement triplé son potentiel en armes. Elle reconstitue chaque jour une forte katiba. Qu' avez-vous fait pour prévenir ces campagnes d'incitation à la désertion? Avez-vous au moins exigé qu'on vous restitue l'armement enlevé ? Je serais, quant à moi, heureux de le savoir, monsieur le Premier ministre. »

« Quant aux violations qui ne sont pas d'ordre strictement militaire, la liste en est plus longue encore. »

« La première partie des dispositions générales de la *déclaration de garanties portait sur la sécurité des personnes. Il y était dit que nul ne pouvait être inquiété, recherché, poursuivi en raison d'actes commis en relation avec les événements politiques survenus en Algérie avant le jour de la proclamation du cessez-le-feu, que nul ne pouvait être inquiété, recherché, poursuivi en raison de paroles ou d'opinions en relation avec les événements politiques survenus en Algérie avant le jour du scrutin d 'autodétermination. »

« D'ailleurs, monsieur le Premier ministre, votre ministre chargé des affaires algériennes nous l'avait solennellement confirmé lors de nos pseudo-consultations. L'encre de sa signature n'était pas sèche que, déjà, l'ALN procédait à des enlèvements, à des attentats, menaçait les uns, assassinait les autres. »

« Dès le 20 mars, en effet, des réunions eurent lieu à Médéa et à Berrouaghia en vue de dresser la liste des musulmans ayant travaillé pour les Français. »

« La population de souche européenne n'était pas mieux traitée et, comme le prophétisait publiquement à Médéa un officier de l'ALN, OAS ou pas OAS, nous ne voulons plus de Français en Algérie. »

« Depuis un mois, les uns commencent à faire le compte à rebours de la présence française, les autres sont terrorisés. L'Algérie est toujours, dites-vous, une terre de souveraineté française ? »

« Pourtant, les harkis sont promenés enchainés, dans le Constantinois, avant d'être égorgés. Des notables disparaissent. Il n'est pas un douar où des supplétifs, des auto-défenses, des conseillers municipaux même n'aient été enlevés. Les parlementaires ne sont plus libres d'exercer leur mandat puisque, pour pouvoir quitter sa circonscription, tel de nos collègues a dû effectuer un important versement. Les attentats contre les Européens ne se comptent plus. »

« Le 16 avril encore, le lieutenant Llopis, chef de la SAS d'Ain-Sultan, dans l'arrondissement de Miliana, a été mortellement blessé par six rebelles qui l'avaient enlevé en même temps qu'un agriculteur de la région, M. Jacques Tondre. Celui-ci, surpris d'être relâché alors qu'il avait été témoin du meurtre, interrogea ses ravisseurs qui lui répondirent : Qu'est-ce que cela peut faire que tu nous aies vu ? Nous sommes maintenant les maîtres et les Français ne peuvent rien contre nous. Même ceux qui ont cru devoir donner des gages immédiats n'ont pas été épargnés, tel cet adjoint de police de Maison-Carrée qui, ayant remis son arme, puis accepté de dénoncer ses amis, finit — c'était il y a moins de huit jours — assassiné à coups de hache, car, lui dit-on tu ne vaux pas la balle qui t'abattra. »

« Dans différentes régions, monsieur le Premier ministre, le FLN . donne l'ordre de détruire les écoles françaises et de construire des écoles coraniques. »

« La liste serait longue et je ne puis vous en infliger la lecture, mais il n'est pas un seul message quotidien des préfets au haut-commissaire — et je suis certain que M. le ministre chargé des affaires algériennes ne me contredirait pas s'il était présent — qui ne relate de semblables assassinats, de semblables exactions. »

« Avez-vous tenté quoi que ce soit, monsieur le Premier ministre, pour remédier à cet état de chose ? Etes-vous décidé à rechercher les coupables et à les traduire devant les tribunaux d'ordre public que vous avez récemment créés un peu partout en Algérie, ou réservez-vous, au contraire, ces tribunaux de super-exception aux seuls Européens ? »

« Savez-vous, monsieur le Premier ministre, que les Mozabites établis dans le Nord de l'Algérie ont reçu l'ordre de regagner le M'Zab en attendant qu'il soit statué sur leur sort en raison de l'aide peu efficace qu'ils ont apportée pendant sept ans à la rébellion ? L’avez-vous reproché au cheik Bayoud, membre de l'exécutif provisoire ? Mais sans doute est-il, lui aussi, impuissant « .

« Les biens privés ne devaient faire l'objet d ' aucune discrimination, disait l’article 12 de la déclaration des garanties. Pourtant, vous ne pouvez pas ignorer que partout le F. L. N. collecte des fonds, perçoit des arriérés, inflige des amendes à ceux des musulmans qui ont collaboré ou bien qui simplement déplaisent à ceux des Européens qui possèdent du bien. »

« En Kabylie, l'ALN perçoit 20% sur chaque mandat en provenance de la métropole. Un peu partout, les fonctionnaires sont taxés avec rappel jusqu'en 1954. Ceux qui ont acquis des biens sans autorisation préalable doivent payer des amendes, et cela dans Alger même. »

« Quant aux extorsions de fonds pures et simples, gratuites, pourrais-je dire, aux dépens des agriculteurs européens, elles sont quotidiennes ; et de quel style ! Jugez-en : Cher compatriote Rouget — dit l'une d'entre elles — comme suite à votre demande de copain avec nous, nous sollicitons de vous avant tout armes et munitions.  Votre place est en Algérie dans laquelle vous serez citoyen algérien . Aussi, nous vous demandons une contribution financière de 30 millions. C'est ce que nous vous demandons pour vivre ensemble dans la coopération française et des musulmans. M. Lui Myou, lui, a la chance de n'être imposé que pour deux millions. Je ne vous infligerai pas, monsieur le Premier ministre, la lecture ne cette lettre, je la tiens à votre disposition. Le style en est vraiment trop difficile ».

« Tout cela est édifiant. Dans certaines fermes plusieurs millions sont exigibles immédiatement, sans parler des mensualités. Dans maintes communes, les récoltes sont pillées ou mangées par les troupeaux, les piquets de vignes volés, le cheptel enlevé. »

Quant à la réforme agraire annoncée par Ben Bella, elle est déjà mise en application sur le terrain puisque de nombreux propriétaires se sont vu interdire l 'accès de Leurs terres en attendant qu'il soit statué sur leur cas.

« Un droit de péage est déjà perçu sur certaines routes, et notamment sur la nationale Oran-Alger. »

« Il s'élève à 10.000 F par contrôle. Il y en a eu quatre samedi dernier. J 'aurais aimé que M. Buron soit ici présent pour lui demander si c'était une des suggestions qu'il avait faites au moment de la signature des accords d'Evian. »

« Que fait votre administration contre tout cela, monsieur le Premier ministre ? A-t-elle seulement essayé de rechercher les coupables dont certains sont connus puisqu'ils ont signé des lettres d'extorsion de fonds ? Je crains fort, au contraire, qu'elle ne considère tout cela comme normal si j'en juge par la visite que firent récemment des gendarmes à un gros propriétaire de la région de Médéa pour le prévenir que l'ALN était susceptible de venir lui demander des armes et des fonds, mais qu'eux, gendarmes, ne pouvaient rien pour lui. »

 

Jean-Pierre SIMON