Claudius PORTIER (1841-1910) : Photographe en Algérie

Pierre ZARAGOZI, PHOTOGRAPHE EN ALGERIE, Claudius Portier (1841-1910). Au temps des hiverneurs. Publication aux dépens de l'auteur. Paris, septembre 2016. Pour commander le livre par internet : pezed@free.fr . 29 €.

Au format A5, c'est un livre de 111 pages, très bien illustré par la reproduction de 55 photographies de Claudius Portier, mais aussi d’Alexandre Leroux (3), de Paul Famin(2). La bibliographie est très abondante (115 références). Un index facilite les recherches. Vingt personnes sont remerciées en fin d'ouvrage, témoignant du sérieux du travail accompli.

L'auteur, Pierre Zaragozi, né à Blida du temps de l'Algérie française, est un passionné des photographes qui ont opéré en Algérie au XIXième siècle...

Pierre Zaragozi est coauteur du catalogue de l'exposition « Photographes en Algérie au XIXième siècle » présentée au musée-galerie de la SEITA en 1999 à Paris. Il a aussi publié, en 2014, un ouvrage sur un photographe de renom,  Félix Moulin (1802-1879) et l'Algérie photographiée.

En nous présentant ce grand photographe que fut Claudius Portier, Pierre Zaragozi, comble un vide dont le CDHA est le premier à se féliciter. En effet, dans le N°52 de notre revue Mémoire Vive, nous avions publié un article d'Elizabeth Cazenave, La photographie en Algérie, qui évoquait, parmi d'autres, le nom de Claude Portier. Le temps est venu aujourd’hui d’aller plus loin et de présenter  l’œuvre de Claudius Portier, grâce au travail de Pierre Zaragozi et à son beau petit livre.

Quelques aspects de ce livre vous sont présentés ci-dessous, mais nous conseillons fortement au lecteur de se procurer rapidement cet ouvrage pour y découvrir l’extrême richesse de ce travail.

Claudius Portier, une nouvelle génération de photographes

Quand Claudius Portier s'installe à Alger en 1863, il rejoint une nouvelle génération de photographes qui suit celle des primitifs, qui s'était développée dans le sillage de la conquête. Cette nouvelle génération, elle, est bien décidée à faire de la photographie une véritable profession permettant d'en vivre.

Le premier professionnel de la photo résidant à Alger est Louis Hippolyte Joseph Delemotte, dont le nom apparaît pour la première fois en 1848.  Il aura pour élève Jean-Baptiste Alary qui s'associera, dans les années 1855, avec Madame Vve Julie Geiser, d'origine suisse comme lui, pour fonder un studio photographique dénommé « la Photographie algérienne », qui deviendra le plus productif d'Alger.

Dès son implantation à Alger Claudius Portier sera vite remarqué par la critique et s'élèvera rapidement à la hauteur de ses anciens. Déjà, en 1865, on écrit de lui dans le journal Akhbar : «  il y a dans toutes ses épreuves une rare perfection de goût, de style et de lumière : rien de dur, rien d'incertain non plus ».

Claudius Portier s'adapte à une  demande qui évolue très rapidement

Si à ses débuts sa « collection » ne représente que des portraits et des reproductions de gravures réalisés en studio, il va très vite s'intéresser aux événements politiques, culturels et touristiques d'Alger et de ses environs.

La calèche de C. Portier

Les premiers clients de son studio photographique sont, il est vrai, des personnes de la haute société algéroise, qui certainement le fascinent. Il est ainsi, notamment, le photographe de Gustave Stellaye de Baigneux de Courcival, un officier de cavalerie célèbre en son temps ; il réalise le portait d'Adolphine Huré d'Apremont, au format carte de visite, en 1865. Mais il comprend qu'il faut aussi sortir de son studio, photographier en plein air, comme le font les impressionnistes.

Dans l'Illustration du 4 juin 1864, qui relate les funérailles du Maréchal de Pélissier à Alger, figure une gravure de M. Ramade réalisée d'après une photo de Claudius Portier prise en pleine rue, au milieu de la foule. Une nouvelle collaboration avec le même Ramade permettra d'illustrer d'une gravure d'après photo le n° de l'Univers Illustré daté du 20 mai 1865, consacré au voyage de Napoléon III en Algérie. Et quand la terre tremblera, le 2 janvier 1867 à Blida et ses environs, il ira en reportage sur le terrain. Il en ramènera des épreuves qui, selon un journaliste, « parlent ; rien qu'à les regarder, le cœur se serre et l'esprit s'abîme dans cette douloureuse contemplation ».

Mais surtout, son coup de génie, consistera, en 1874, à réaliser un guide catalogue destiné aux  hiverneurs, ces personnes qui venaient passer l'hiver à Alger, pour la douceur de son climat, mais aussi pour son exotisme, et sa touche orientaliste. A leur intention, Claudius Portier décrit dans son guide une série de circuits pour visiter la ville d'Alger et la Kabylie. Des épreuves du photographe illustrent les différents circuits, dont il fournit la liste et que l'on peut se procurer dans différents formats : 21x27 cm, 10x16 cm, carte de visite ou en stéréoscopie. Il vend aussi des albums algériens reliés en imitation maroquin. Ce guide catalogue rencontre un tel succès qu'il bénéficie d'une réédition en 1878, augmentée de nouveaux circuits, et bénéficiant des nouvelles techniques de l’imprimerie photographique, de la photogravure, auxquelles Claudius Portier s'est initié.

Les sujets de prédilection de Claudius Portier

Dans ses portraits, Claudius Portier, qui répond comme ses concurrents à la mode venue de métropole et qui consiste à poser au milieu d'un décor oriental, évite de tomber dans de  cliché orientaliste. Certes la photo évoque l'Orient, mais avec assez peu de moyens, il s’impose par la qualité de son travail.

Dans ses guides catalogues, Portier aura trois thèmes de prédilection : l’architecture, la nature, les différents « types algériens ».

Les  circuits qu’il imagine dans Alger privilégient les palais turcs de la ville basse, et dans la ville haute, les rues de la casbah, les porches en pierre, les murs à la chaux, les colombages en bois de thuya. Mais il conduit aussi les hiverneurs dans le jardin d'essai du Hamma, avec ses allées de palmiers, ses aloès ou ses yuccas ; au jardin Marengo, très à la mode à cette époque.

A l’extérieur d'Alger, il les emmènera à Blida, « la ville par excellence des roses, des jasmins et des femmes », une étape incontournable sur la route des gorges de la Chiffa, mais également à Teniet-el-Haad et sa forêt de cèdres, et à Biskra, à la rencontre des Ouleds Naïls.

Ses descriptions des « types algériens » visent à montrer les différentes « races indigènes » la variété des costumes bigarrés et l'étrangeté des types rencontrés. On peut citer les photographies de porteurs d’eau, les juifs marchands de babouches, la mulâtresse marchande de pain, l'orchestre de femmes, l'orchestre de noirs algériens, anciens esclaves libérés par le régime des français, etc.

 

Portier et ses liens avec le monde de l'art

Le livre de Pierre Zaragozi nous permet aussi de découvrir les liens de Claudius Portier avec le monde de l’art en Algérie.

D'abord, par son histoire  familiale, il se retrouve très proche de la famille Famin, qui jouera un grand rôle dans sa vie. En 1862, sa mère épouse en secondes noces, à Alger, François Eugène Famin, ancien journaliste républicain. Ce mariage le rapproche d’une famille de notables parisiens dont sont issus de nombreux écrivains et de nombreux artistes, dont Charles Famin, architecte, connu à cette époque pour ses photos de Fontainebleau. C’est aidé par sa mère et son beau-père, que Claudius ouvrira son premier studio photographique au N° 7 de la rue de Napoléon (qui deviendra rue de la Lyre), en 1863. Il a alors 22 ans et a interrompu ses études à l’école des Arts et Métiers à Aix en Provence. Dix ans plus tard, en 1873, Paul Famin rejoint son oncle Eugène à Alger et devient l’assistant de Claudius Portier. Il apprend avec lui le métier de photographe, et en 1878 monte sa propre affaire au N°8 de la rue Bab Azoun. Il fait du très bon travail et obtient notamment une médaille à l’exposition industrielle d’Oran en 1880, une médaille d’or à l’exposition universelle de Paris en 1889. Il concurrencera durement Claudius Portier, à qui il doit tout. En 1890 Paul Marie Famin a un fils, Pierre Famin, qui deviendra une figure importante du milieu artistique algérois, dont fait alors partie A. Marquet, et qu’il reçoit dans sa galerie du Minaret, un local que lui prêtait son frère René, à côté de son magasin de meubles (précisions aimablement communiquées par Marion Vidal-Bué ; qu’elle en soit ici remerciée).

Par ailleurs, par ses relations étroites avec le monde de l’art, Claudius Portier réalisera de nombreuses photographies de tableaux d’amis peintres de son époque. A preuve, la publication en 1882 du livre d’H. Lazerges, La forme et l’idéal dans l’Art, qui contient 5 dessins de Lazerges dont la photogravure a été réalisée par l’Atelier C. Portier, et un chapitre consacré à l’influence de la photographie sur l’art.

Enfin, citons ses relations d’amitié avec le peintre et photographe Alexandre Leroux, qui réalisera un portrait de C. Portier, en 1873, huile sur toile au format 60x40 cm, ci-contre. C’est d’ailleurs ce même Alexandre Leroux qui lui rachètera  son atelier en 1883 !

Claudius Portier met fin brutalement à son activité !

Coup de tonnerre ! En janvier 1883 Claudius Portier vend son atelier à son ami Alexandre Leroux, peintre et photographe. Il en retire la coquette somme de 12.000 livres de rente ! Pourquoi ?

A-t-il été blessé par la concurrence de Paul Famin ? Ou plus généralement fatigué de celle qui s’exerçait avec tous les autres studios qui s’étaient installés à Alger à sa suite ? A-t-il eu tout simplement une proposition d’achat particulièrement intéressante de son ami A. Leroux ? Ou simplement envie de faire autre chose ?

Effectivement, il s’occupe alors de la société de Tir d’Alger dont il devient vice-président. Il siège au Conseil Municipal et s’investit dans la reconstruction du théâtre d’Alger, après l’incendie qui l’a détruit en 1882 ? Il en démissionnera ensuite et partira s’occuper de la « cave Portier » qu’il crée dans une ferme à Zéralda, près de Staouéli. Il y réussit d’ailleurs, puisque son vin remporte une médaille à l’exposition universelle de Paris en 1889…. Il ira ensuite dans la région de Jemmappes où il sera chef d’exploitation à la Banque d’Algérie… Il finira tout de même par revenir à Alger, en 1897, et il décèdera, chez lui, rue de Metz, le 9 mai 1910.

 

Jean-Pierre Simon et Françoise Carriol

24 octobre 2016