Une histoire humaine : les Mines des Phosphates de SFAX-GAFSA (1ère partie)

Au mois de juillet, l'amicale des Anciens des Mines des Phosphates de Sfax-Gafsa est venue nous rendre visite et découvrir le Conservatoire National de la Mémoire des Français d'Afrique du Nord (cf. la photo de la semaine du 24 juillet). Cette Amicale a été créée en 1988.  Suite à cette visite, et dans l’optique de renforcer les futurs partenariats entre les deux associations, Domingo ALEDO vous propose cet article retraçant l’histoire des mines de Sfax-Gafsa.

 

Une Histoire humaine

La Découverte d’une richesse minérale aux portes du désert saharien

A la fin du XIXe siècle, la Tunisie est sous protectorat français depuis les traités de 1881 et 1883. C’est en 1885, au cours d’une mission scientifique dirigée par le français Philippe Thomas, médecin militaire et passionné de géologie, que ce dernier découvre dans les montagnes du Sud-Ouest tunisien, dans la région de Gafsa, les premiers affleurements d’un gisement de phosphate très étendu débordant sur l’Algérie. C’est seulement à partir de 1896, après enquête scientifique sur la qualité et l’extension du minerai que la Compagnie des phosphates et du chemin de fer du Sfax-Gafsa est créée.

L’exploitation du Phosphate allait être à l’origine du développement de cette région quasi désertique du pays. Ainsi se développèrent plusieurs centres miniers dont ceux de Metlaoui, Moulares, Redeyef et M’Dhilla. Celui de Metlaoui, siège de la Direction des Exploitations Minières de la Compagnie des Phosphates de Gafsa sera doublé par un Centre d’expédition du minerai, Metlaoui-Gare, anciennement Philippe Thomas, à destination du port de Sfax. Une nouvelle activité industrielle voit le jour dans le pays et va permettre de développer la production de phosphates dits «naturels» (PN) produits dérivés du traitement métallurgique des minerais riches en phosphore dont l’agriculture aura de plus en plus besoin pour nourrir une population croissante.

Aujourd’hui, 90% de la production mondiale de PN sont utilisés dans l’industrie du phosphate agricole. Le reste est utilisé pour la production de complément alimentaire pour animaux. Il est aussi utilisé dans la composition des détergents dans la blanchisserie.

Les premières extractions commencèrent dans la région de Metlaoui, pour s’étendre par la suite aux centres de Redeyef et de Moularès. Vers l’année 1900 la production de phosphate marchand atteint 200 000 tonnes. Après ces débuts prometteurs, la Compagnie des Phosphates et des Chemins de Fer de Gafsa a connu tout au long de sa longue histoire une série de changements structurels avant d’acquérir son statut actuel et de devenir en janvier 1976, la Compagnie des Phosphates de Gafsa, la CPG. Avec une expérience centenaire dans l’exploitation et la commercialisation des phosphates tunisiens, la CPG a figuré parmi les plus gros producteurs de phosphate dans le monde : le cinquième rang à l’échelle mondiale avec une production excédant huit millions de tonnes de phosphate marchand en 2009.  Les bouleversements sociaux et politiques de la dernière décennie ont malheureusement mis aujourd’hui la CPG en grande difficulté dont il faut cependant espérer qu’elle se remettra pour retrouver son importante contribution à la prospérité du pays.

Sites principaux d’extraction du phosphate tunisien et réseau ferré dédié

Ainsi, c’est dans ce contexte politico-économique du Protectorat Français en Tunisie qui s’exercera de 1881 à 1956, année de l’indépendance du pays, que va se développer cette région du Sud-Ouest Tunisien, malgré la tourmente des deux guerres mondiales.

Commerces et artisanats divers, activités agricoles, administratives, scolaires publique et privée, de pratique des cultes, autant d’activités nécessaires à la vie d’une «micro-société» et à son développement, vont rapidement se créer et faire prospérer chacun des grands centres miniers, l’économie de la région et par voie de conséquences celle du pays.

Origine et Nature des gisements de Phosphate

Des gisements de phosphate se retrouvent le long de la bordure Nord du continent africain, depuis le Maroc jusqu'à la Tunisie. Ils sont importants en étendue et en puissance. Les plus riches sont les gisements marocains qui renferment plus de 76% de phosphate tricalcique.

Ils se sont formés au cours des dernières périodes de l’ère Secondaire, au Crétacé supérieur (il y a 65 millions d’années environ), et surtout au début de l’ère Tertiaire, à l’Éocène (il y a 55 à 50 millions). Le déplacement des plaques tectoniques ouvrait progressivement l’océan Atlantique pendant que l’océan PaléoThethys à l’origine de la Méditerranée se refermait. Par ailleurs, à la fin de l’ère Secondaire,  un bouleversement climatique planétaire se produisait, lié à la chute d’une très grosse météorite dans le golfe du Mexique et d’une très puissante activité volcanique, notamment sur le continent indien formant les trapps du Deccan, accumulant les coulées de lave sur près de 2500 mètres d’épaisseur.

La Méditerranée il y a environ soixante-cinq  millions d’années (document du Centre Régional de Documentation Pédagogique [C.R.D.P.] de Nice et de la Corse, du C.N.R.S. et de l’Université de Paris VI) – 1988. En Bleu très clair = Mers peu profondes et Marges continentales .  Jaune et violet = zones émergées. Bleu foncé = zones de croûte océanique.  Flèches = sens de déplacement des plaques tectoniques. Trait épais = confrontation de plaques. Trait fin = contour côtier actuel.

Cependant, dans les mers de la période Éocène bordant le continent africain, mers peu profondes, dites mers épicontinentales, où la vie foisonnait et avait repris ses droits, se déposaient des sédiments phosphatés qui seront tant recherchés par l’agriculture du futur! On les rencontre sous deux formes; les uns sont représentés par des couches de calcaires ou de grès phosphatés comme le montrent, à l’affleurement, ces photos prises dans les gorges de l’oued Seldja.

cette coupe géologique schématise la structure de la montagne de Metlaoui

Le phosphate se trouve ici à l’état de débris d’ossements, de concrétions ou de petites granulations ; c’est le cas des phosphates d’Afrique du Nord.

D’autres gisements correspondent à des formations secondaires résultant de la décalcification des précédentes et de la concentration locale du phosphate sous l’effet d’actions mécaniques ou chimiques.

En Afrique du Nord, le phosphate de chaux y est d’origine biochimique. On y rencontre, outre les grains phosphatés, d’innombrables débris d’ossements, de poissons, qui sont déjà du phosphate de chaux.

Débris d’os fossile et dents de requin fossiles provenant des mines de Metlaoui

Comment de telles accumulations furent-elles possibles? Sans doute sont-elles dues à des variations rapides des conditions de vie de ces milieux peu profonds qui provoquaient la mort de grandes quantités d’animaux.    

On observe aujourd’hui sur les bancs de Terre-Neuve où abondent les morues la rencontre du courant chaud du Golfe Stream et du grand courant froid des mers polaires. Cet affrontement provoque de véritables hécatombes parmi les êtres vivants liés à ces deux courants. Au sud du Cap de Bonne Espérance, on a dragué des concrétions phosphatées sur le banc d’Agulhas, précisément en un lieu ou un courant froid venu de l’Océan global Antarctique rencontre un courant chaud venant de l’Équateur. Outre les variations de température, les variations de salinité peuvent aussi être à l’ origine de tels phénomènes. Ces accumulations de cadavres d’animaux attirent les poissons prédateurs, les requins qui finissent par se livrer de véritables batailles rangées et ajoutent leurs cadavres à ceux qui gisent déjà sur le fond marin.

Ainsi, on pourrait dire que ces gisements phosphatés sont d’anciens champs de bataille et des cimetières d’animaux !

Tous ces terrains furent, par la suite, soumis à d’intenses déformations tectoniques liées au rapprochement des deux continents africain et européen. Cela se passait il y a environ 40.000 millions d’années et si l’Afrique poursuit son mouvement régulier vers le nord, il ne restera plus grand-chose de la Méditerranée dans 10 millions d’années! Le volcanisme italien, entre autres phénomènes dynamiques, témoigne de l’actualité de ces mouvements (Etna, îles Lipari, Stromboli, Vésuve). Dix millions d’années! C’est, certes, énorme à l’échelle d’une vie humaine, mais c’est à peine deux fois plus d’années qu’il a fallu  pour développer  la grande «famille» des hominidés dont l’évolution aboutira à l’espèce humaine telle que nous la connaissons aujourd’hui !

La Méditerranée actuelle et coupe schématique de la structure interne  de la croûte terrestre.

En Jaune = Terres émergées. En Bleu très clair = Marges Continentales. En Bleu foncé = Croûte Océanique recouverte de sédiments et d’eau. Flèches = sens de déplacement des plaques tectoniques. Trait épais = confrontation de plaques.

Ce qu’il  devrait rester de la Méditerranée dans dix Millions d’années, un chapelet de «flaques d’eau», si l’Afrique poursuivait sa progression vers le Nord à vitesse constante. Même légende que le schéma précédent. (Document C.R.D.P. de Nice et de la Corse – 1988).

C’est alors que naissent les chaînes de montagne telliennes et Atlasiques en Afrique du Nord alors que la cordillère Bétique, les Pyrénées, les  Apennins et les Alpes se forment sur le versant européen.

Avec un certain humour, on pourrait dire que c’est  bien grâce à la tectonique des plaques qui gère les espaces océaniques et les phénomènes de sédimentation qui y règnent que des familles venues des quatre coins de l’Europe du Sud ou d’origines plus locales vont s’installer dans cette région du Sud-ouest tunisien quasi désertique mais prometteuse d’avenir, au cours de la révolution industrielle des XIXe et XXe siècles! Merci la Terre! C’est pour ce qu’elle nous donne que l’on doit en prendre soin !

Philippe Thomas, l’inventeur, écrit dans son rapport de Mission « Essai d’une Description Géologique de la Tunisie » paru en 1907  à l’Imprimerie Nationale – Paris., où il souligne  l’importance économique de la découverte de l’énorme étendue  du gisement et déjà le futur développement démographique de la zone :

« . . . J’ajouterai que c’est au djebel Metlaoui qu’apparaissent, presque horizontaux, grâce à l’affaissement de l’axe crétacique de la chaîne, les plateaux d’Éocène inférieur qui renferment les beaux gisements de phosphate de chaux actuellement exploités par la grande Compagnie de Gafsa. Cette exploitation a changé la physionomie de ces montagnes, absolument délaissées et désertes lorsque en avril 1885, j’y découvris les premiers indices de la richesse minérale qu’elles renferment dans leur sein ; elle leur a rendu momentanément la vie, en les repeuplant d’une armée de travailleurs qui sont en train de transformer ce coin de la Tunisie en un centre minier des plus importants. Mais ce que l’industrie des phosphates ne pourra rendre à ces montagnes et à ces plaines, c’est la vie végétale qu’elles ont presque totalement perdue, car rien n’égale leur désolante aridité. Les tables éocènes de Metlaoui renferment de nombreuses couches de Phosphate de chaux, atteignant ensemble une épaisseur de 10 mètres. . . . »

Texte de Jean-Claude Aloisi

La suite de cet article la semaine prochaine : Une migration, du Nord vers le Sud, d’européens en quête d’emploi et d’avenir

 
Amicale des Ancien des Mines des Phosphates du SFAX-GAFSA
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