Un mystère resté entier : Le trésor de la casbah d’Alger

Les origines du trésor du dey
On imaginait ce trésor considérable car ce qui dormait à la Kasbah avait été accumulé par les deys successifs. Les « raïs » algériens, commandants des navires du dey ou de particuliers, sillonnaient la Méditerranée à la recherche de proies dont ils capturaient l'équipage et les éventuels passagers, et « faisaient main basse » sur le butin. Dès le bateau au port d'Alger, le butin et les esclaves étaient vendus aux enchères, après que le dey se soit réservé en propre, un nombre d'esclaves, proportionnel à l'importance de l'équipage capturé. En outre, 12 % de la valeur de la vente du butin revenaient au dey sous forme d'argent, de bijoux ou d'armes précieuses, auxquels s'ajoutait la moitié du produit de la vente des captifs. Les esclaves chrétiens appartenant au « beylik », enfermés dans trois bagnes, représentaient pour le dey une autre source d'enrichissement par la rançon qu'il exigeait pour leur libération. Ainsi, en 1787, l'ordre religieux de la Rédemption de Naples de France et d'Espagne, versa un million de piastres de rançon (1 piastre = 0,50 franc or). Malgré les dispositions du traité d'Aix la Chapelle en 1815, qui organisèrent la lutte contre la piraterie en Méditerranée, et poussèrent le dey Omar à libérer, en 1816, un millier d'esclaves des nations européennes sans contrepartie financière, la course continua à alimenter le trésor de la Kasbah. Les deys pouvaient également compter sur une autre source non négligeable de revenus : les obligations financières des beys d'Oran, du Titteri et de Constantine et diverses taxes qui représentaient plusieurs centaines de milliers de piastres par an, en monnaie, en objets de valeur, ou en denrées et animaux. Largement  de quoi rêver !

Plan d'Alger au XVIIe siècle

Les faits           
Le 5 juillet 1830, le dey Hussein signa la capitulation d'Alger et l'armée prit le contrôle de la ville.
Le 6, une commission composée de l'Intendant général Denniée, du commandant de la place, le général Tholozé et du payeur général Firino, reçut du « khasnadj », les clés du trésor du dey
Des scellés furent apposés, mais la nuit suivante, 25.000 à 30.000 francs en lingots d'or disparurent, après le percement d'un mur de la salle de monnayage.
Après inventaire du trésor par la commission, le général de Bourmont écrivait à Polignac :
« il contient au moins 80 millions en espèces d'or et d'argent. Nous avons en outre à la disposition du roi, les valeurs des denrées et de marchandises [ ] qu'on peut évaluer je crois, à 20 millions. ».
Le 17 juillet 1830, le général de Bourmont écrivait au ministre :
« L'inventaire du trésor est à peu près terminé. Une somme en or de 13.200.000 francs a été chargée sur « le Marengo » ; « le Duquesne » va porter en France 11.500.000 francs en monnaie du même métal. Tout le reste est en lingots ou en monnaie d'argent, dont la valeur est de 27.000.000 environ. Ainsi, une somme de 52.000.000 aura été trouvée dans le Trésor. 1.900 bouches à feu, dont plus de la moitié en bronze, d'immenses approvisionnements en poudre, plomb et projectiles, des magasins de laine considérables ; les maisons et les métairies dont le gouvernement est propriétaire, représentent une valeur à peu près égale».
L'inventaire officiel indiqua quelques jours plus tard, que le trésor de la Casbah s'élevait à 48.684.528 francs en monnaies d'or et d'argent.
Pour justifier cette différence d'environ 31 millions, l'intendant Deniée expliqua que « le Trésor fut pesé et non compté comme on peut le croire » et assurait que les mesures prises pour récupérer le trésor, avaient permis un déroulement normal de l'opération.
« Cette opération a eu lieu par des officiers d'état-major et de la Trésorerie, sous la surveillance de la commission des finances [ ]. Ces caisses, ficelées et cachetées, recevaient une série de numéros d'ordre et étaient placées méthodiquement dans des caveaux, d'où elles ne sortaient que pour être transportées au port par des militaires de corvée, commandées par des officiers et sous la conduite du payeur général et des agents de la trésorerie ».
Pourtant, des bruits de détournement, accusant des hommes influents du régime déchu et la disparition des lingots d'or décidèrent Louis-Philippe à faire contrôler, dès le 11 août , les cargaisons en provenance d'Alger et à charger le général Clausel, successeur de Bourmont, d'organiser une commission d'enquête. Parmi ses membres, arriva à Alger le 2 septembre, avec le nouveau commandant en chef, Jean Baptiste Flandin, un sous-intendant militaire au passé trouble. Persuadé d'une fraude, il se livra à une enquête minutieuse et estima qu'avant l'arrivée des Français, le trésor de la Casbah s'élevait à 150 millions de francs. Malgré ces conclusions, Clausel ferma officiellement « l'affaire du Trésor d'Alger »le 22 octobre 1830, après un mois et demi d'enquête :
« La déclaration expresse de la commission est que rien n'a été détourné du trésor de la Cassauba, et qu'il a tourné tout entier au profit du trésor de la France ».
Malgré des rumeurs et un doute tenace, des historiens firent de cet événement un fait mineur et adoptèrent la version officielle selon laquelle, le trésor avait couvert les frais de l'expédition et procuré un bénéfice d'environ 5 millions en monnaies d'or et d'argent, auquel s'ajoutaient le matériel de guerre et d'autres biens saisis.

Siège et prise d'Alger le 4 juillet 1830. Aquarelle du Jung

La fin du mystère ?       
Un livre de Pierre Péant intitulé « Main basse sur Alger-Enquête sur un pillage-Juillet 1830 » paru en 2004, attira à nouveau l'attention sur le sujet. Il consulta divers centres d'archives pour trouver des documents probants et utilisa les travaux de Marcel Emerit en 1954, de Charles-André Julien en 1964, et d'un historien algérien Amar Hamdani.
Dès la première estimation, l'incertitude s'installa, puisque le contenu du trésor  fut pesé et non compté, et Bourmont annonça 50 millions. D'autre part, Flandin utilisa une méthode très approximative. Il calcula le volume des salles qui contenaient le trésor, détermina dans chacune, la hauteur des entassements d'or ou d'argent et estima le volume des tas. A partir du métal et de l'origine des pièces, il calcula la valeur de chaque caveau. Il arriva à une valeur de 150 millions. A Alger en 1954, Marcel Emerit, confirmait ce chiffre : « ce trésor devait être d'environ 150 millions en or, argent et bijoux ».Par le mode opératoire de Flandin,corrigé par des experts, et en utilisant le prix des métaux fixé par les commissions des finances de l'époque, Péant conclut à une valeur d'environ 240 millions de francs de 1830, soit un détournement de 200 millions. (Pour Péant, 1 million 1830 = 7,6 millions d'euros).
L'estimation de Pierre Péant est-elle la plus exacte ?

Quelles sont ses sources d'information ?
L'essentiel des informations provient de Jean Baptiste Flandin qui n'admit pas la clôture précipitée du dossier et voulut confondre les responsables du détournement. Cette source aurait été capitale, si le parcours et l'attitude de son auteur, n'incitaient pas à la prudence.
Défini par Péant lui-même comme « un personnage trouble mais aussi comme un maître chanteur », Flandin chercha à vendre ses révélations au plus offrant, et en désespoir     de cause, les fit publier. Ne doit-on pas craindre que le désir d'en tirer le meilleur parti financier, ne l'ai poussé à augmenter l'aspect sensationnel de l'affaire ?
Péant mentionne également les écrits des consuls en poste à Alger : le 9 juillet 1830, le consul anglais Saint-John estimait le trésor à « au moins 300 millions », le consul américain Shaler faisait la même estimation et le 13 août 1830, celui des Pays-Bas parlait de 230 millions. En 1828, le consul Deval, certainement le mieux informé en raison de ses « amitiés » dans la ville, parlait de 150 millions.
Quel crédit accorder à Saint-John, notoirement anti-français ? Les consuls tenaient-ils leurs informations sur le contenu exact du trésor de l'entourage même du dey ? Un doute raisonnable est permis qui ramène leurs chiffres à des supputations.
Par ailleurs, même si des mouvements de cargaisons suspectes sont avérés, leur valeur reste inconnue. 28 caisses remplies d'or auraient transité par Gibraltar ; 865 caisses auraient quitté Londres pour Paris. Mais aucune description, aucune dimension, aucune certitude sur le contenu.

Prise d'Alger le 4 juillet 1830

Un rapport du préfet de police Piétri, daté de 1852, reprenait les rapports de Flandin, mais, selon Marcel Emerit,  justifiait surtout la confiscation, par Napoléon III, des biens de la famille d'Orléans comme provenant du détournement.
50, 100,150 millions ou plus constituaient peut-être le trésor de Hussein, on ne le saura sûrement jamais. Mais un détournement de sommes importantes ne peut être mis en doute.
J'ai vu sortir de la Casbah au moins 60 caisses remplies d'or ; [ ] et ce n'est pas par le chemin de la Marine que ces caisses ont passé, mais bien du côté opposé, car j'ai vu ces mêmes soldats prendre la rue qui conduit au Fort l'Empereur ».écrivait le capitaine Persat le 18 août 1836.
Au-delà du Fort l'Empereur, à El Biar, se trouvait la « villa du traité », résidence du général de Bourmont. Coïncidence ? ...

Quels furent les bénéficiaires du détournement ?
La révolution de juillet 1830 plongea le corps expéditionnaire dans une extrême confusion. La plupart des responsables, pourtant attachés au régime renversé, continuèrent à exercer de hautes responsabilités. Clausel, successeur de Bourmont ne débarqua à Alger que le 2 septembre. L'itinéraire de certaines cargaisons, permet de penser que les sommes détournées devaient servir à la reconquête du pouvoir par la dynastie déchue. Talleyrand, ambassadeur à Londres signalait une grande agitation politique de la duchesse de Berry, et écrivait le 25 octobre 1830 : « Charles X ne paraît pas être dans l'embarras d'argent ».
Prise d'Alger le 4 juillet 1830

Une récupération idéologique sert-elle l'histoire ?
Un trésor intact aurait-il changé le cours de l'Histoire ? Assurément pas ; Mais un fait certes condamnable, relevant du droit commun, servit à l'affirmation d'une pensée politique, à un moment où la présence française en Algérie alimentait un débat passionné Ainsi, abandonnant l'Histoire, Pierre Péant cita Marcel Emerit, mais insista moins sur ses qualités d'historien que sur ses prises de positions d'intellectuel communiste partisan de l'indépendance de l'Algérie.
Or, qui fut la victime du détournement du 6 juillet ? Le 5, la capitulation d'Alger avait fait de la France, conformément aux lois de la guerre, le gouvernement légitime de la Régence et le propriétaire de ses biens  (cf. : la perte de l'Alsace-Lorraine après la défaite de 1870 ou les contraintes territoriales et financières imposées à l'Allemagne en 1918). C'est donc le Trésor public français que le détournement lésa.
Quant au « pillage » qu'aurait subi la Régence, n'a t-il pas été largement compensé ? Par les ressources du sous-sol mises en valeur, les infrastructures modernes, une économie florissante qu'il suffisait d'entretenir, laissées en 1962, dépassaient les estimations les plus folles du trésor de la Casbah. En outre, l'émission « Trésors oubliés de la Méditerranée » sur Arte, consacrée au Musée des Beaux-Arts d'Alger, suffisait à convaincre que le trésor de la Casbah était largement reconstitué. En effet, l'hommage rendu à Jean Alazard, le créateur du musée, permettait d'admirer, à côté d’œuvres d'artistes algériens, celles inestimables de Manet, Monet, Degas, Delacroix, Fromentin, Matisse, Renoir, Pissarro ou Rodin et Belmondo.
Restent alors un obscur méfait, mais aussi et surtout un trésor aussi mystérieux, et peut-être plus fabuleux que celui d'Ali Baba, mythe de notre enfance.
Laissons le délit à l'Histoire mais conservons le charme puéril du mystère du trésor de la Casbah.

Bibliographie :
A. Nettement, Histoire de la conquête d'Alger, 1867.
C. Rousset, La conquête d'Alger, 1880.

Alain LARDILLIER

Extrait du Mémoire Vive n°59