René CARRIOL et le débarquement américain du 8 novembre 1942, en Algérie

Présentation du sujet par Mme.Françoise SIMON-CARRIOL

 

René CARRIOL et le débarquement américain du 8 novembre 1942, en Algérie

 

A ce débarquement ont participé mon père, René Carriol, officier d'aviation de réserve, et mon oncle, Albert Raymond, ainsi que d'autres officiers de réserve et d'active. Ils étaient enrôlés, afin que les autorités de Vichy ne puissent s'opposer à l'arrivée des anglo-américains, par le chargé d'affaires des USA, MURPHY.

D'autres officiers d'active, après avoir pris contact avec un envoyé américain et un anglais venus de nuit de Gibraltar, la base anglaise de sous-marins, avaient préparé ce débarquement pour qu'il n'y ait pas de sang versé.

J'avais 4 ans, et je me rappelle avoir dit "au revoir" à mon père et à mon oncle, revêtus de leurs uniformes, qui partaient, pour ce rendez-vous nocturne. Ma mère m'a raconté que ça avait été une nuit d'angoisse.

Au début de la matinée du 8 novembre 1942, la rade d'Alger se couvrit de bâtiments de guerre. Les troupes avaient débarqué au petit matin sur la presqu'île de Sidi-Ferruch, comme en 1830, au moment de la conquête de l'Algérie, et allaient sur Alger.

Mon oncle fut retenu jusqu'au soir, et mon père revint dans la matinée.

Il avait, avec quelques autres, arrêté le Commandant en Chef, le Général KOELTZ du dix-neuvième Corps d'Armée.

Finalement l'Amiral Darlan, qui, par hasard était à Alger, au chevet de son fils, conclut l'armistice et les américains s'installèrent confortablement.

Seulement, le soir même, les avions allemands vinrent bombarder le port d'Alger. Ils piquaient au-dessus de nos têtes, car nous dominions le port et toute la baie.

C'était un feux d'artifice, car la DCA américaine répondait.

Le lendemain, mes parents m'envoyèrent dans une ferme, chez des amis, avec ma soeur et ma cousine, pour nous mettre à l'abri.

 

Françoise SIMON-CARRIOL

 

 

  Compte-rendu des évènements de la nuit du 7 au 8 novembre 1942 à Alger

Vus par le Capitaine de Réserve René CARRIOL de l'armée de l'air

 

Le présent compte-rendu ne relate que les faits dont le signataire a été le témoin.

 

« Je faisais partie du groupe constitué par les Lieutenants L'HOSTIS du Génie, Albert RAYMOND des Sénégalais, l'un et l'autre Officiers de réserve.

Avisés le 7 novembre, en fin d'après-midi, que l'heure de l'action était arrivée, je me suis mis en tenue vers 22 h 30 et, en compagnie du Lt RAYMOND, me rendis au domicile du Lt L'HOSTIS chez lequel notre groupe devait se constituer au complet.

Ce groupe comprenait outre les Officiers de réserve précités et moi-même, le Commandant

BERAUD en congé de l'Armée de l'Air, les Sergents de réserve THOMAS et Albert RAYMOND.

Rassemblé, notre groupe entendit du Lt L'HOSTIS un résumé des opérations projetées qui peut se condenser comme suit :

« Débarquement en grandes forces matérielles et humaines des troupes américaines dans

la présente nuit, vers une heure, sur tout le littoral Algérien et Marocain. Mission nous était donnée jusqu'à l'arrivée des Alliés en Alger, prévue pour l'aube du 8/11 soit vers 6 h 40, de concourir à la neutralisation de toutes volonté et force de résistance des autorités militaires et civiles de la capitale de l'Afrique du Nord. »

Au surplus le Lt Cl JOUSSE, notre chef direct, devait dans un moment préciser à chacun de nous sa mission.

Après divers cheminements ou stationnements en groupes séparés, nous nous trouvâmes rassemblés au rendez-vous définitif.

Je reçu du Cl JOUSSE la mission suivante :

« Participer à la neutralisation du QG du XIX CA par l'occupation effective du QG et l'assurance de la personne du Général qui y commandait. »

Notre groupe se trouve alors constitué comme suit :

• Lt Colonel JOUSSE, Breveté d'E.M. Active,

• Capitaine PILLAFORT du Service Automobile, active,

• Capitaine CARRIOL,

• Lt L'HOSTIS,

• Un Lt pilote d'avion dont j'ignore le nom,

• Enfin Sergent THOMAS.

 

Vers une heure du matin deux voitures légères nous conduisent sur les lieux. Après une attente de quelques minutes dans une rue adjacente, nous vîmes arriver des hauteurs de la ville, les deux cars transportant les cadres et la troupe chargés du coup de main. Tout se fit dans le plus grand ordre et silence. Quelques minutes après, Colonel en tête nous pénétrâmes dans le QG par la grille postérieure.

La garde est relevée. Les ordres sont donnés.

Le Colonel JOUSSE, suivi des officiers de son groupe, pénètre dans l'hôtel du XIXème  C.A. Et en gravit les escaliers intérieurs.

Nous devons tout d'abord nous occuper de l'Officier de service. Ce dernier est réveillé et rapidement mis au courant des faits. Habillé et quinaud il s'assure cependant sur notre demande que toute liaison téléphonique est coupée, enfin il est sommé d'avoir à nous conduire dans les appartements privés du Général de réveiller ce dernier pour permettre l'entretien préliminaire que le Colonel JOUSSE désire avoir. Ainsi fut fait.

Le Général Commandant le XIXème C.A. Se présente à nous en pyjama. Le Colonel pénètre dans sa chambre. Un très bref entretien n'a aucun succès. Le Colonel sort de la chambre. Quelques minutes après le GENERAL KOELTZ reparaît à sa porte, vêtu et botté. S'arrêtant sur le seuil, il nous toise tous d'un œil dur et bleu. Interpellant successivement le Lt L'HOSTIS et moi-même, il demande nos noms. Successivement, au garde à vous, nous accédons à sa demande, il ajoute :

 

  • « Ainsi, je suis votre prisonnier ».
  • « Oui mon Général ».

 

Le Général est conduit à son cabinet de travail. Le Colonel JOUSSE prend de nouveau la parole pour exposer encore la situation : savoir, les faits, débarquement massif américain ; les buts de notre action présente, neutralisation de toute résistance ; notre espoir de demain, mobilisation de l’armée d'Afrique sous le Commandement du général GIRAUD ; notre idéal, libération de la France.

Le GENERAL KOELTZ reste immobile dans son attitude. Il ne croit pas à l'arrivée imminente des troupes américaines, encore moins à celles du Général GIRAUD. Sa majesté est respectueusement mais nettement blessée. Au surplus son bon sens semble se refuser à croire à la consistance et à la réussite de notre mouvement. Cependant, il s'assure lui-même, après en avoir demandé l'affirmation à l'Officier de service, que toute liaison extérieure est rompue.

Appelés ailleurs, le Colonel JOUSSE et le Lt L'HOSTIS se retirent, disant au général KOELTZ qu'ils vont chercher le Général MASSTE.

Le Capitaine PILLAFORT prend alors le commandement du QG et je reçois mission, assisté du Lt d'aviation dont j'ignore le nom, de garder à vue le Général en son cabinet. Une garde complémentaire se tient dans la pièce contiguë.

Le Général KOELTZ nous en a imposé par son attitude de Chef, mais cette attitude nous fait précisément nous raidir nous-mêmes et nous montre l'utilité de notre mission, prologue nécessaire à l'accomplissement de notre but idéal.

De longues heures passent. Nous devons tenir jusqu'à l'aube, et il est à peine 5 heures du matin.

De temps en temps la canonnade et les mitrailleuses s'entendent sur la ville et au loin. Le Général semble prendre conscience de la réalité. Son premier but a été de temporiser pour attendre le secours de l'extérieur. Maintenant il se met à détruire des papiers nombreux.

Les nouvelles extérieures sont rares et peu précises. Les liaisons ne sont pas rétablies. Cependant tout semble se passer au mieux, et nos espoirs sont grands. Je n'ai pris aucune part à la préparation des opérations de la nuit. Aussi, puis-je me permettre d'écrire que le déroulement de l’action à laquelle j'ai collaboré, l'atmosphère des rues avant notre arrivée au QG donnait l'impression d'une organisation parfaite de précision.

Lentement les heures s'écoulent et au lever du jour notre quiétude était encore absolue.

Dans le courant de la nuit, on était allé quérir un des officiers de la maison du Général pour l’assister. Le Général se tenait toujours dans son cabinet, mais seul, il détruisait toujours ses papiers. Nous nous tenions dans la pièce contiguë. Le café lui fut servi par son ordonnance.

Vers 7 h 30 du matin, la police et les gardes-mobiles enfin alertés, arrivèrent et cernèrent les trois faces accessibles du QG, la quatrième étant constituée par une falaise haute de 15 à 20 mètres.

Fenêtres ouvertes sur la rue, nous contemplions ce spectacle. Des bruits de bataille s'entendaient au loin. Nous ne savions rien. Nous n'avions aucune liaison avec l'extérieur.

Isolés dans les pièces du haut, le Lt d'aviation et moi-même en tête à tête avec les deux Officiers du Général nous nous considérions avec des pensées diverses.

Les assaillants semblaient hésitants. Cependant la situation était retournée. Des palabres à la grille entre les chefs. Vers 7h45 entrée d'un parlementaire en la personne d'un Colonel des gardes-mobiles, précédé du Capitaine PILLAFORT. Refus du Général d'échanger sa personne contre la garnison cernée. Départ du parlementaire. Retour du même parlementaire peu après assisté d'un autre Colonel. Un accord a été pris avec le Capitaine PILLAFORT, le Général KOELTZ sortira par la porte d'honneur et nous aurons et nous aurons une heure pour décider de combattre ou de nous rendre.

Le Général KOELTZ va se retirer suivi des deux Colonels parlementaires et des deux Officiers de sa maison. Auparavant, il interpelle de nouveau les dissidents présents, sauf le Capitaine PILLAFORT. Au Lieutenant d'aviation et au Sergent THOMAS qui nous avait rejoints en haut il demande leurs nom et qualités.

Enfin à moi-même pour la deuxième fois :

  • « Rappelez moi votre nom »
  • « Capitaine CARRIOL mon Général »
  • « Officier de réserve, bien entendu »
  • « Oui mon Général »
  • « Quelle profession »
  • « Architecte mon Général »
  • « Quelle maison »
  • « La mienne mon Général »

 

Nous sommes seuls en haut, deux officiers de réserve d'aviation inconnus l'un de l'autre. Quelques minutes de recueillement dans le silence.

Nous descendons nous mettre aux ordres du Capitaine PILLAFORT. Nous le trouvons dans la cour du QG. Il est entouré des deux officiers de la maison du Général libérés qui sont revenus, et qui affectueusement le pressent et lui demandent de ne pas combattre. Le Capitaine refuse. Il est décidé à se défendre énergiquement et jusqu'au bout.

Personnellement je ne me rendrai pas. Mais à ce moment je n'ai pas le cœur de combattre.

J'espère avoir le courage de me présenter au-devant de la première rafale assaillante. Je suis las, calme et sans nerfs.

Des minutes passent encore. Absorbé en moi-même, plongé dans mon examen de conscience, je suis totalement coupé du monde extérieur. Je ne sais plus ce qui se passe, et ne cherche plus à comprendre les évènements, jusqu'à ce que j'entende le Capitaine PILLAFORT me dire :

  • « Filez chez vous mon vieux, vous êtes libre ».

 

Je sors à peine de mon rêve intérieur, et mécaniquement je m'en vais.

J'avoue que je suis parti sans demander d'explication. Sans joie, sans peine. Vide. Je sentais cependant que ma liberté était provisoire et précaire ma vie. Je désirais seulement aller embrasser ma femme et ma fille.

 

 

René CARRIOL

 

Capitaine René CARRIOL

Observateur en avion de la Réserve de l'armée de l'air

Chevalier de la Légion d'Honneur

Croix de guerre 1914-18 – Trois citations.

Croix de 2° classe des services militaires volontaires.