Pierre Viré et l'ère des bâtisseurs

Le nom de Pierre Viré n’est pas de ceux qui s’affichent sur les plaques de rues des villes. Ce sont les politiques qui se bousculent là, pas les bâtisseurs. Pourtant, entre les deux guerres, tout semblait permis aux conquérants. Entre Mermoz et Saint-Exupéry, en passant par Paul Chack, Pierre Viré se situe dans l’immense exemple moral de la conquête de l’air et de la mer. La volonté, le courage, le devoir, l’altruisme, l’abnégation. Avec éthique, élégance et, cerise sur le gâteau, la littérature en plus. Ces hommes et ces femmes ont affronté la part inconnue des éléments merveilleux et effrayants de la nature, l’ont maitrisée et de leurs mains fragiles l’ont déposée sur l’autel de l’amélioration de la condition humaine. Parfois, ils en ont rendu compte avec une plume de modeste oiseau des grands larges.

Le 15 octobre 1903 naissait Pierre Viré à Koléa (Algérie française) … déjà sous le grand vent de l’aventure… Son père était avocat à Bordj-Ménaïel, sa mère normande. Pierre fit ses études au Lycée Bugeaud à Alger. A 16 ans il s’engage comme matelot pour payer sa traversée Alger-Marseille. Il obtient son brevet de radiotélégraphiste, effectue son service militaire dans la Marine nationale puis entre chez Latécoère à Toulouse. Déjà le besoin de témoigner le tenaille. Dans la « Dépêche algérienne » il remplit la rubrique « Bruits d’ailes et de moteurs ». 1927, sur le « Jonquille », il multiplie les actes de secours aux équipages des hydravions, particulièrement sur la ligne Oran-Alicante. Il est souvent blessé, et grièvement brûlé lors d’un accident de machinerie. 1928, la grande aventure commence. Radionavigant sur hydravion, il maîtrise cette nouvelle et délicate science de la communication qui tenait entre ses ondes la vie des navigants isolés en pleine mer, au milieu des sables ou zigzaguant entre des sommets acérés. Se multiplient accidents, sauvetages, équipées en zones dissidentes qui, déjà, se battaient pour se saisir d’otages, exiger des rançons, et uniquement pour cela. Passionné par l’Algérie et la Kabylie, il souffre des menaces qui pointent déjà sur sa terre natale. En 1946, avec l’avocat berbère Augustin Belkacem Ibazizen, ancien des « Croix de Feu », descendant d’un adversaire farouche du Général Bugeaud, futur Conseiller d’Etat, il fonde « Solidarités algériennes pour le rapprochement des élites des deux communautés et la substitution du dialogue au silence ». Il y travaille avec l’émir Séhel Abd el Kader, capitaine de réserve, petit-fils de l’émir Abd el Kader, grand ennemi-ami de la France, et le Baron d’Orthez, arrière-petitfils du dit Général Bugeaud. Le 28 novembre 1949, le DC4 qui l’emmenait de Paris à Tunis s’écrasait à l’escale de Lyon. Pierre Viré faisait partie des passagers. On n’en parla peu, peut-être même pas. Il fut enterré au cimetière Saint-Eugène à Alger. Lorsque l’Algérie fut livrée à l’organisation extérieure du FLN, sa tombe fut profanée par les héros de la dernière heure. On n’en parla pas.

Si quelques rares personnes se souviennent de Pierre Viré, c’est grâce à Jean Macaigne, marin, aviateur, radio, écrivain comme lui, qui, en 1975, publia ses oeuvres complètes. Aujourd’hui le site http//koléa-bone.net/ bibliographie rend hommage à ce grand Français d’Algérie complètement oublié. Ces hommes ne recherchaient pas les colifichets mais, pour résumer leur carrière, il suffit néanmoins de suivre les témoignages que leurs contemporains et leur postérité y accrochèrent sur sa poitrine. Pierre Viré : Officier radio, Brevet supérieur de Navigation aérienne, 7.000 heures de vol (2.500.000 kilomètres) sur avions et hydravions. Plus de 10 embarquements maritimes (11 années de navigation). Officier de la Légion d’honneur, Médaille de Sauvetage de la Marine nationale, Médaille d’Honneur de la Fédération Nationale de Sauvetage, Médaille de Vermeil de la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés, Médaille de Vermeil de l’Aéro-Club de France, Médaille de Bronze de l’Etablissement des Invalides de la Marine, Quatre témoignages de satisfaction et, le surlendemain de sa mort, Médaille de l’Aéronautique.

Etre Homme d’action… à l’époque, cela était une valeur. L’héroïsme, notion considérée maintenant comme ringarde, faisait partie du quotidien naturel et lorsque l’homme d’action prenait la plume, ce n’était pas par narcissisme mais pour témoigner et rendre hommage aux autres. C’est le sens des écrits de Pierre Viré, comme ceux de Jean Mermoz, qui préfaça son « TVB, Tout Va Bien, Les Batailles Quotidiennes des Routes de l’Air », Grand Prix littéraire de l’Aéro-Club de France 1937. L’ouverture des lignes - Alger- Marseille, qui ne fut pas la plus facile, Casablanca-Dakar-Natal… La Ceinture de Feu, le Rio de Oro, les pillards R’Guibats, Bidon III et V, Cap Juby et l’Aéropostale. Noronha, au large du Brésil - relais entre Europe et Amérique du Sud, où il faudra gérer en même temps une révolte de 800 bagnards brésiliens et un sauvetage de Mermoz. Un seul homme arrêtera les émeutiers en se dressant devant le mât du drapeau tricolore. A l’époque, il y avait quelque chose de magique, dans le Drapeau… Les avaries et les perditions, fréquentes : la mort brutale des pics rocheux, la mort sèche des sables, la mort humide des noyades lorsque l’avion entraîne son équipage dans les abysses, et le pire : la forêt vierge qui avale ses proies comme une plante cannibale. Chaque journée de ces défricheurs était une épopée banalisée. La littérature qui en découle sera faite de comptes rendus radio simplement dramatiques comme le seront plus tard les reportages de Pierre Schoendoerffer, mais aussi de romans, pas nécessairement plus chimériques que la réalité qui comme chacun sait, dépasse toujours la fiction.

Le 7 décembre 1936 disparaissait Jean Mermoz. En 1942, Pierre Viré lui rend un nouvel hommage : « Mermoz toujours vivant ». La cicatrice de sa mort ne peut se refermer. Comme si les recherches continuaient encore. L’auteur se souvient des actes de son camarade, de ses mots, de son souhait de « mourir dans la mer, comme Collenot, loin de Paris, de ses arrivistes mesquins ». Solidarité et fraternité, « esprit d’équipage », et surtout devoir, réflexes de bon sens, réels et paraboliques pour la nation. Une langue unique pour l’esprit de coopération tendu vers l’amélioration du sort humain, grâce au brassage des coeurs et des classes sociales. Ne jamais s’envier, haïr l’égoïsme, le faux amour-propre, et le sectarisme bêlant. Nous portons tous sur nos épaules la disparition de la « Croix du Sud » qui ce jour-là accomplissait sa 24ème traversée de l’Atlantique sur la ligne postale que « l’Archange » avait tracée. Mermoz archange, symbole chrétien, symbole français, symbole universel.

Bernard Chupin

Ouvrages de Pierre Viré : - Fortune de mer. 1938. - Réalité de l’Empire. 1946. - La république de barbitras contre la France de Bugeaud. 1947. - Avec Bernanos contre les robots. 1947. - La Terre de Lune. nd. - Au péril de l’espace 1942. - Tragédie sans combat. nd. - Les grands problèmes du temps présent. 1948. - Figures de proue.1945. - La nuit des Chimères.1946. - Sous la croix d’Agades ou Les cavaliers du prophète ou Le méhari noir ( Synopsis « du film » illustrant l’oeuvre de la France au Sahara ).

Extrait du Mémoire Vive n°60.