Paul-Elie DUBOIS : l’ambassadeur du Hoggar

Si le dessin est la probité de la peinture, la lumière en est l’âme. L’œuvre de Paul-Élie Dubois est le grand poème dramatique de la peinture sur les terres africaines. Robert Randau

En 1920, cet artiste qui porte en lui toute l’apparente sévérité de sa Franche-Comté natale, obtient la bourse de la Villa Abd-el-Tif. Selon sa propre expression, il aura en Algérie la « révélation de la lumière ».

Paul-Elie Dubois (Colombier-Chatelot (Doubs) 1886 – Montbéliard, 1949) n’imagine pas qu’une grande partie de sa vie se déroulera sur cette terre d’Afrique. Conquis par ce pays, il n’a dès lors qu’un seul objectif : le faire connaître. Qualifié d’orientaliste, il est porteur d’un héritage postimpressionniste tout autant que nabi et fauve, voire symboliste et sa palette s’illumine, sereine, éclatante.

Il s’astreint à une grande discipline pour mieux maîtriser les envols de son imagination, il trouve dans le Sud, la vie simple, voire rude qui lui convient, car il n’est pas citadin, la nature lui est chère et la solitude ne l’effraie pas.

Paul-Elie Dubois peignant l'Assekrem

L’éveil d’une vocation 1904-1927

Paul-Élie Dubois fait son apprentissage à l’Académie Julian puis à l’École des Beaux-Arts de Paris, il débute au Salon en 1909.

Après la guerre, il se marie, devient père d’un enfant et obtient le prix Thirion qui lui permet de voyager en Italie, Espagne, Tunisie et Maroc. Il obtient ensuite une bourse du gouvernement général de l’Algérie et séjourne en Algérie jusqu’en 1922. Le résumé de ses efforts s’illustre dans deux toiles Le Cimetière d’El Kettar et La Paix dans la lumière, qu’il réalise dans un atelier au lycée de Ben Aknoun à Alger.

Le Grand Prix artistique de l’Algérie lui est décerné en 1927.

Peintre acharné au travail, il produit une quantité de pochades (1) dans lesquelles il s’attache à fixer toutes les subtilités de la lumière, il rencontre Albert Marquet, leurs sensibilités sont proches devant les spectacles de la nature algérienne.

L’Afrique du Nord, une seconde patrie.

Le Sahara sort de la légende 1928-1948

En 1928, le gouverneur général de l’Algérie Pierre Bordes, organise une mission scientifique d’exploration du Hoggar (2). Celle-ci comprend des universitaires et des savants : le docteur Maire, professeur de botanique à la Faculté des sciences d’Alger, Monsieur Seurat, professeur de zoologie, le docteur Leblanc, professeur à la Faculté de médecine d’Alger, Monsieur Reygasse, directeur du Musée d’ethnographie et de préhistoire du Bardo, le docteur Foley de l’Institut Pasteur d’Alger, et de Monsieur Peyerrimhoff, chef de la station de recherches forestières du nord de l’Afrique.

Derniers rayons sur l'Assekrem

La mission parcourt 4.000 km en automobile à travers le désert du Sahara et 800 km à dos de chameau dans le massif du Hoggar. Grâce au général Meynier, directeur des Territoires du Sud, et aux officiers sahariens, elle peut parcourir sans incident le champ d’investigation qu’elle s’est fixé.

Pendant trois mois l’artiste vit chez les Touareg du Hoggar et, tout de suite impressionné par le paysage farouche qui l’entoure, il écrit devant ces paysages : « (…) des entassements titanesques de roches, d’énormes falaises verticales dont les arêtes rigides se découpent sur un fond de ciel mangé de poussière, pic en pain de sucre sur un ciel bleu ».

Devant ce paysage d’une poésie grisante qu’il faut savoir regarder, sa mission consiste à rapporter des toiles peintes qui auront la valeur de documents, et qu’il faut faire vite et « vrai ». Accommodant sa vision, il entre dans la compréhension de plus en plus passionnée de ce pays, des Touareg et de leur vie. Le désert exerce désormais sur lui une emprise irrémédiable.

Au Salon des Tuileries en 1930, il obtient un triomphe et présente près de 400 œuvres qui suscitent l’intérêt de la critique et l’enthousiasme du public. La distinction « d’Ambassadeur du Hoggar » lui est décernée. Dubois présente à Paris sept conférences sur le Hoggar.

Il est le premier des Abd-el-Tif à demander à ces solitudes tourmentées un motif d’inspiration et à les révéler à l’Europe ; en partie grâce à lui le Hoggar devient une invitation au voyage.

En 1931, à l’Exposition coloniale qui se déroule à Vincennes, il réalise un diorama en deux panneaux, Cour d’amour au Hoggar et Le Hoggar, sommet de l’Assekrem.

Le Cercle lyonnais du livre lui demande d’illustrer L’Atlantide de Pierre Benoit puis les Chants du Hoggar de Mme Maraval-Berthoin.

En 1933 il épouse, en secondes noces, Henriette Damart, ancienne collègue de l’Académie Julian, sociétaire des Artistes français.

Accompagné de son épouse il participe à une nouvelle mission scientifique au Hoggar puis, en 1939, il accomplit avec elle une randonnée de quatre mois et s’établit avec des Touareg à deux mille mètres, en plein air, sans même l’abri d’une tente, près de l’ermitage du père de Foucault. Ses témoignages intéressent l’amateur d’art et l’ethnographe, ils voyagent avec la « smala de l’Aménokal » raconte-t-il « juchés sur nos méharas, gens et bêtes cheminaient sur les pistes invisibles, parmi les roches noires et bleues ou les sables roses ».

En 1940 on retrouve Dubois à Alger, il aménage un atelier rue de la Solidarité puis choisit de résider Villa Serena, il devient membre de l’Union des artistes de l’Afrique du Nord.

En France, l’artiste expose ses œuvres du Hoggar à Paris, à la Société coloniale au Salon des Artistes français et à Montbéliard. La Société des peintres orientalistes lui décerne le Prix Charles Cottet, attribué depuis 1929, qui couronne sa carrière.

Dubois effectue son troisième voyage au Hoggar par avion militaire avec étapes à Djanet, Tamanrasset et séjourne dans les campements touareg de la Koudia. Il nous livre des études et des toiles nouvelles, notamment le portrait du nouvel Aménokal, Meslar- Ag-Amayas.

En août 1947, Dubois rentre d’un quatrième voyage au Hoggar et l’année suivante y effectue son cinquième séjour qu’il rejoint par avion militaire.

Le 14 février 1949, ce grand artiste meurt dans son atelier de Montbéliard. Les expositions se succèdent à Alger comme en métropole et rendent hommage à son talent.

Témoignages

Paul-Élie Dubois dès sa première mission scientifique au Hoggar s’acquitte de ses responsabilités avec beaucoup de conscience professionnelle, ses œuvres ont une valeur documentaire certaine. Il évoque avec lyrisme en 1941 dans son journal « A dos de chameau », l’émotion ressentie devant le spectacle naturel du désert : « Visions tragiques, architecture dantesque. Symphonies des ors et des rouges sur ces vertigineuses cathédrales. Chant grave des bleus profonds et des noirs. Enchantement des matins radieux, féerie de la lumière sur ces terrasses du ciel ».

En sa qualité d’élève de Cormon aux Beaux- Arts durant les années 1910-1911, Paul-Élie Dubois a été imprégné de la tradition classique, il est d’autre part fortement marqué par le courant naturaliste ou « art du juste milieu », qui domine les salons des vingt dernières années du XIXe siècle. Il enrichit ses œuvres d’une conception personnelle de l’espace alliée à un grand sens de la mesure et de la composition.

Maurice Genevoix de l’Académie française lui rend hommage : « Paul-Élie Dubois ne se comporte pas comme un ethnologue froid et précis. Son contact avec ce peuple est surtout émotionnel, il correspond à un émerveillement permanent devant leurs coutumes empreintes de simplicité. Comme Delacroix, Chassériau et Fromentin, c’est le goût de l’antique qui incite Paul-Élie Dubois à fixer sur la toile les nobles berbères. A l’instar des héros grecs ou romains, leur majestueuse silhouette drapée de noir ou de bleu se dresse sur un fond d’une grande sobriété. Il exprime le désir d’un retour à la pureté d’une terre immémoriale au milieu d’un peuple mû par des rites ancestraux. Plus qu’un peintre voyageur Paul-Élie Dubois est un peintre missionnaire qui n’a pas usurpé ses titres de « Peintre du Hoggar » ou « Ambassadeur du Hoggar ».

Observateur loyal d’un univers lointain, Paul-Élie Dubois intéresse tous les Sahariens et les amoureux du désert. Outre l’intérêt documentaire, son œuvre donne corps, forme et couleur au monde touareg, à ce peuple du désert dans son univers de montagnes et de sable.

Elisabeth Cazenave.

Extrait du Mémoire Vive n°51

Bibliographie

Elisabeth Cazenave, Paul-Élie Dubois, Peintre du Hoggar, Éditions du Layeur, Paris, 2006.

Œuvres principales

Musées des Beaux-Arts d’Alger, d’Oran, de Montbéliard, des Années trente (Boulogne- Billancourt.), FNAC, Centre Georges Pompidou.

 

1) pochades : peinture exécutée prestement, enquelques coups de pinceau

(2) Maurice Genevois, collection