L’émigration allemande en Algérie

Les premiers européens, non français, ayant pénétré en Algérie, ont été tout d’abord quelques Mahonnais qui approvisionnaient en légumes les unités de l’armée dés 1830. Egalement un grand nombre de ressortissants allemands sont venus s’engager en 1831 dés la création de la Légion étrangère. Ils représentaient en décembre 1832 un effectif de 2196 sur un total de 3168 légionnaires de toute nationalité, soit 69,3%.

Mais on ne peut, au travers de ces deux cas, parler d’une véritable émigration…

Au 19ème siècle, pour des raisons économique, misère et surpopulation, des millions d’européens émigrèrent vers « les pays neufs » ; Amérique du Nord, Brésil, Afrique du Sud, Australie, Nouvelle Zélande.

« En ce qui concerne l’émigration Allemande, rappelons que depuis 1815 Bavarois et Prussiens se disputent le Palatinat voisin qu’ils ont arraché aux français. Combien de temps encore le grand-duché de Bade conservera-t-il son indépendance ? »  Pour se résumer, c’est toute la rive gauche du Rhin (Prusse Rhénane, Palatinat bavarois, Grand-duché de Bade…) qui subit la pression prussienne.

« Des raisons politiques, davantage que des raisons économiques poussent la population de différentes contrés allemandes à s’expatrier » écrit le baron de Weber, qui fut longtemps le porte- parole et l’avocat des émigrés. Il évalue à « quatre vingt pour cent » le part des préoccupations politiques dans les motivations de ceux qui s’expatrient. Ainsi plusieurs centaines de milliers d’allemands quittèrent leur pays entre les années 1815 et 1870, principalement vers l’Amérique du Nord et le Brésil. Les Allemands et les Suisses ont été parmi les premiers émigrants sur le sol algérien, contre leur gré quelque fois, comme les soixante-treize familles originaires de Prusse Rhénane, de Bavière et du Wurtemberg soit environ cinq cents personnes qui, en février 1832 étaient abandonnées au Havre par un agents recruteur qui devait les faire passer en Amérique du Nord.

Ces gens qui vivaient dans des conditions fort modestes étaient la cible préférée des agents de l’émigration. Les armateurs des ports d’Anvers, d’Ostende, Dunkerque et du Havre faisaient de fructueuses affaires en transportant les émigrés de toute l’Europe vers les Amériques. Aussi pour remplir au maximum leurs navires, n’hésitaient-ils pas à envoyer des agents qui incitaient les émigrants à se diriger vers tel ou tel port. Le prix du voyage était de 3,75 F de l’époque, les deux tiers payable de suite, le solde un an après leur arrivée au Brésil.

Le gouvernement français réalisait avec elles, la première colonisation à Kouba et Dely Ibrahim, suivis de Mahelma et Boufarik.

Extrait de "Allemands et Suisses en Algérie" de Jean-Maurice Di Costanzo

Le même événement se produisit en 1846  ou huit cent soixante dix personnes en provenance de la Prusse  Rhénane et à destination du « Far West mythique » se trouvèrent également bloquées à Dunkerque victime d’un agent dénommé Diel à qui, ils avaient confié le soin d’organiser leur voyage. Il disparu en emportant toutes leurs économies. Vivant, grâce à la charité des Dunkerquois qui n’ont pu que les empêcher de mourir de faim, ce n’est qu’au bout  d’un an de cet abandon total que l’administration française a envisagé de les envoyer en Algérie. Après une  traversée de treize jours dans des conditions difficiles de  Dunkerque à Oran dans six navires, ils arrivent le 15 novembre dans leurs villages de destination qui s’appelleront  Sainte Léonie et La Stidia (qui deviendra plus tard  Clémenceau). Ils ne sont plus que trois cents à l’arrivée. Les conditions sont catastrophiques, rien n’a été préparé pour les recevoir. C’est la saison des pluies et du froid, et nos arrivants sont dépourvus de tout. Les lopins de terre qu’on leur avait attribués étaient couverts de palmiers nains et de jujubiers.

Alsaciens et fiers de l'être

Les deux villages vont végéter jusqu’en 1860 et lorsqu’en mai 1865 l’Empereur Napoléon III traverse Sainte Léonie, décoré de feuillage, sous un arc de triomphe dressé, la chaleur de l’accueil qu’on a fait à l’illustre visiteur est la preuve de l’aisance enfin obtenue. Le maire dans sa harangue, demande que soient simplifiées les formalités d’accession à la nationalité française. Il est certain que ce vœu est à l’origine de la promulgation de l’article trois du Senatus Consulte de 1865. Une hausse significative du nombre des naturalisations apparaît entre 1867 et 1869. En 1870, tous sont restés d’une fidélité totale à leur nouvelle patrie et, pour ne pas risquer d’être appelés « Boches », ils se sont  proclamés Alsaciens et fiers de l’être.

Cette émigration s’est faite, tout d’abord dans la plaine de la Mitidja, puis dans le département d’Oran, enfin dans celui de Constantine.

« L’arrêté ministériel du 28 septembre 1853 rappelait les conditions de recrutement des émigrants allemands. Outre le dossier de demande, pour obtenir une autorisation de passage gratuit en Algérie, un ouvrier célibataire devait présenter une somme de cent francs, deux cents francs pour un couple et leur famille. Quant au colon concessionnaire et sa famille, la somme était de deux mille francs; cela lui permettait d’obtenir gratuitement un permis de passage et une concession de quatre à cinq hectares ».

Ces conditions assez restrictives étaient reprises par la presse. Ainsi à la même période, la gazette de Kassel écrivait :

«  L’attaché de l’ambassade de France à notre cour, Monsieur le comte Eugène de Belcour, a fait connaître au gouvernement dans une note les conditions sous lesquelles l’émigration des sujets Hessois en Algérie pourrait s’opérer en pleine sûreté, sans qu’ils fussent exposés à être renvoyés. Ces émigrants devront notamment prouver s’ils veulent obtenir une concession de terre, qu’ils possèdent… » et de citer les conditions énumérées ci- dessus de l’arrêté ministériel du 28 septembre 1853.

Des effectifs affectés par une forte mortalité

Notons que cette migration allemande fut fondamentalement différente des migrations du sud de l’Europe telles, l’espagnole, l’italienne ou la maltaise et fut organisée par les pouvoirs publics français avec un réseau d’agents recruteurs sous la direction de préfets dés 1855 pour éviter tout dérapage comme ceux dont ont été victimes les émigrés à Dunkerque de 1832 et 1846.  

D’après les recensements, cette émigration allemande représente 3 à 5% de la population européenne entre 1856 et 1872.

L’effectif se stabilise à 6000 personnes entre ces deux dates et se place au 5ème rang des minorités européennes.  

L’étude du graphique de « L’effectif des Allemands et des Suisses de 1853 à 1896 », bien que peu fiable, compte tenu des méthodes de recensement de l’époque, nous montre l’évolution de cette émigration;  notamment les trois grandes vagues d’émigration : (1853-54) (1871-77) (1881-86), et les baisses d’effectifs qui les suivent. Celles-ci sont consécutives aux épidémies (variole, paludisme, choléra), sécheresse, insurrections, qui entrainent une mortalité supérieure aux naissances. René Mayer dans son ouvrage « Algérie : Mémoire déracinée » nous rapporte que « d’octobre 1853 à février 1854, la proportion de décès chez les adultes avoisine la moitié »… Ce qui entraina pour certains, une démotivation et le retour sans ressource au pays où l’accueil compte tenu de la situation politique n’a pas été des plus chaleureux. De plus les allemands ne semblaient pas s’acclimater à l’Algérie, ce qui explique aussi cette baisse de l’effectif en 1896, par rapport à la grande vague de 1853.

La répartition de ces émigrés a été dés le début bien étudiée, citons quelques villages des trois départements. Pour celui d’Alger: Boufarik, Douéra, Blida, Dely-Ibrahim… ; pour celui  d’Oran : Sidi-Bel-Abbès, La Stidia, Sainte Léonie, Misserghin, Detrie, Dublineau…, et pour celui de Constantine: Guelma, Penthièvre, Héliopolis, Nechmeya...

Cette émigration s’est totalement intégrée aux différentes communautés de l’Algérie française, tout en conservant sa personnalité. Nombre de ces émigrés pratiquaient toujours leur langue d’origine au sein de leur foyer encore en 1962.

 

  George Jacob Wolf, un grand nom des brasseries en Algérie

Parmi la réussite de cette émigration, citons George Jacob Wolf (1837-1923) qui débarqua à Alger en 1855. Il est âgé alors de 18 ans et s’installe en 1865 à Constantine comme tonnelier brasseur à la Brasserie Kablé. Il crée en 1868 sa propre brasserie qu’il dirige jusqu’en 1903. De très nombreuses brasseries existaient à cette époque dans ce département et Constantine n’en compta pas moins de cinq mais la Brasserie Wolf se place déjà au premier rang des brasseries du pays. C’est son fils Gustave (1878-1939), son cinquième enfant qui prend la relève en 1903 et ne cesse de la remanier et de la moderniser, assisté dés 1913 par Charles Auguste Kessler(1869-1944). C’est ce dernier qui en assurera la gestion après  l’accident d’avion qui couta la vie de Gustave Wolf en 1939. La Brasserie comprend alors  tous les derniers perfectionnements : concasseurs, chaudières en cuivre, réfrigérants, cuves de fermentation…  lui permettant de rivaliser avec les meilleurs marques de la Métropole. 

La Stidia - rue principale

Village de Stidia (Georges Clemenceau)

 

 La Stidia se situe en bord de mer à 15Km à l’ouest de Mostaganem. Le nom de Stidia a été déformé, son nom d’origine  viendrait du nom arabe « Aïn Sdidia » : source ferrugineuse, de couleur rouille.

Afin de préparer l’arrivée des 517 prussiens en provenance de Dunkerque, le Maréchal Bugeaud, alors Gouverneur Général de l’Algérie, nomme le 2 septembre 1846 une commission chargée de préparer les bases de l’établissement du village de La Stidia ; de délimiter un territoire qui permettrait de donner une douzaine d’hectares à chacune des 100 familles devant composer le village.

Le choix de l’emplacement du village était commandé par la fontaine existante au bord de la route.

La commission choisit cette fontaine comme centre du village afin de diminuer la distance à parcourir par chaque famille pour s’approvisionner en eau, mais le débit de la source (2 litres par seconde) s’avérera nettement insuffisant pour une population estimée à 1000 personnes (colons, soldats, indigènes). La commission émet le vœu de voir augmenter le débit de la source et creuser des puits.

Ce manque d’eau va se faire cruellement ressentir dans les premières années.

Devant l’urgence, pour loger les premiers colons, la commission décida de construire des baraques provisoires de 80m de long et de 5m de large. Ces baraques avaient une séparation en planche tous les 10m. Il y avait 8 pièces par baraque, chaque pièce avait une porte et 2 fenêtres. Quatre à cinq familles soit 25 à 30 personnes ont ainsi vécu dans 50m2 pendant près d’un an. La première baraque a été achevée le 1er  octobre 1846. Elle a servi à loger les 2 premiers convois de colons. La deuxième baraque à été achevée le 21 octobre 1846 et a servi de logement aux 3ème  convois de colons.

Dés le 15 octobre, les travaux d’enceinte du village commencèrent avec la création d’un fossé de 2m de profondeur et d’un remblai de protection de 2m de haut et 2m de large. L’armée craignait toujours des actions de Bou Maza qui harcelait  avec ses cavaliers, sans cesse les troupes françaises et terrorisait les tribus arabes.

Le général Pelissier, commandant la subdivision de Mostaganem, chargea le lieutenant-colonel Bosc de diriger les travaux et au colonel Flo d’envoyer un bataillon du 32ème de ligne pour construire le village. Le nombre maximum de militaires établis à La Stidia a été de 507.  

La commission adopta un type unique d’habitation à une seule pièce (44m2) en terre battue (2 portes, 3 fenêtres et une cheminée) recouverte d’une terrasse. 54 maisons auront été ainsi construites entre le 23 décembre 1846 et le 20 mai 1847. Le 25 aout, la construction des maisons est terminée, 91 familles totalisant 445 personnes les occupent.

La construction de l’église a commencée en 1879 pour s’achever en 1934.

« Le dernier officier du 32ème de ligne quitta La Stidia le 15 mai 1848 et le régiment alla rejoindre l’armée d’Italie. Entre temps, 3 soldats libérés qui s’étaient mariés avec des filles de La Stidia restèrent au village. Il y en avait parmi eux un nommé Pierre Juillard qui était jardinier. C’est lui qui a créé les premiers jardins et fourni des légumes aux soldats et colons. A sa libération, il obtint une concession au village. Le personnage était un méridional haut en couleur et fort en gueule qui, de 1847 à 1880 eut 3 épouses et vécut 14 ans avec la 4ème avant de l’épouser à prés de 80 ans. Il mourut vers 1900, âgé de plus de 80 ans. Il était connu au village et dans les environs sous le nom de Juillard le jardinier. Il fut le premier maire-adjoint du village ».

 

Dés son arrivée, chaque famille reçoit un matricule pour l’identifier, car personne ne parlait le français et leurs papiers d’identité avaient été perdus pendant le transport. Les colons étaient  nourris par l’ordinaire de  l’armée jusqu’au 22 décembre 1846 et ensuite ne recevaient que du pain des légumes et du lard.

Le 20 mai 1847 la première moisson commence. Le 15 septembre, chaque famille reçoit sa part de blé et d’orge. Immédiatement, c'est-à-dire le 16 septembre, les colons sont informés que toute aide matérielle leur est supprimée, plus de solde, plus de rations alimentaires. C’est à partir de ce jour que va commencer l’affreuse misère des gens de La Stidia. Cette misère frôlera parfois la famille et durera jusqu’en 1851.

Certaines familles durent pour vivre, aller vendre à Mostaganem le bois qu’ils avaient défriché. Cette « industrie » dura 3 ans. Pendant cette période l’ordre avait été donné dans les casernes de Motaganem de ne pas jeter les restes des repas de la troupe, mais de les donner aux colons de  La Stidia

Le manque de pluie pendant les années 1848-49-50 donna des récoltes catastrophiques. La plus mauvaise fut celle de 1850. Les colons n’ayant aucune récolte fuyaient La Stidia et allaient travailler comme journalier dans les villages environnants pendant que leurs femmes et leurs enfants gardaient les moutons. Pendant les premières années, ils s’adaptèrent assez mal dans les autres centres de population, car la barrière de la langue était difficilement surmontable.

A partir de 1851, la vie des colons s’améliora et l’économie démarra réellement.

En 1929, le Conseil Municipal décida de donner à La Stidia le nom de Georges Clemenceau en hommage à l’action menée par celui-ci.

Yves Marthot

Bibliographie : - Jean-Maurice DI COSTANZO « Allemands et Suisses en Algérie »

                   - René MAYER «  Mémoire déracinée »

                   - Maurice Bel « L’Histoire de LA STIDIA et de SAINTE LEONIE »

                   - Livre d’or du département  de Constantine

                   - Histoire de la création de LA STIDIA de Michel Drosson

                   - Algérie « L’œuvre française » de Pierre Goinard

                   - Archives Nationales d’Outre-Mer – Aix en Provence

                   - Archives départementales du Nord

                   - Service historique de l’armée de terre. Vincennes

 

NB : La seconde partie traitera de l’émigration Suisse en Algérie