L'immigration mahonnaise en Algérie (suite)

ouvriers minorquins

Précedemment, Nicole Domenech-Lenzini nous a présenté une large et rafraîchissante fresque sur cette émigration dénommée « mahonnaise ».

Quelques références bibliographiques apportent un utile éclairage complémentaire à cette présentation. (1)

Mahon y la expedicion francesa a Argel en 1830, de Juan Llabrès, (étude publiée par la très intéressante Revista de Menorca) :

Ces annales relatent, jour après jour, la participation de Mahon (et surtout de son port et de son hinterland) à l’entreprise de conquête de l’Algérie. Toutes les escales des navires français y sont détaillées avec leur chargement, les conditions de traversée, leur finalité.

Le journal fourmille de remarques sur la météorologie, son influence sur les vacations maritimes mais aussi sur la production de l’île. Extraits :

- le 8 mai (1830) : arrive au port le Surintendant Vicomte de Limoges de Saint Just, général français, venu pour organiser les hôpitaux militaires.

- le 18, sont arrivés une corvette de guerre française et des bateaux de transport conduisant les médecins praticiens, chirurgiens et pharmaciens, au nombre de 99 destinés à accompagner l’expédition. Les accompagnent deux cents hommes de troupe en deux compagnies devant assurer la garde des dits hôpitaux.

- le 28, on a pu apercevoir, vers 1h de l’après-midi, l’expédition française qui se dirigeait vers Alger, composée ainsi qu’on a pu l’estimer durant son passage à hauteur du port, de 13 navires de guerre ou de ligne, et de 2 vapeurs, formant la première division ; de plusieurs frégates…

Curieusement, dans cette même période de mai à décembre 1830, vont séjourner dans ce port, l’escadre hollandaise et anglo-américaine détachées en Méditerranée…en mission d’observation sans doute !

Une étude sur l’émigration des Minorquins en terre d’Algérie au siècle XIX, Joan Oliver Fuster, à partir des documents écrits par Francisco Truyol et remis à l’Archiduc Louis Salvador le 15 février 1888.

Ce travail traite d’un certain nombre d’aspects, relatant ainsi qu’entre 1829 et 1846, la ville de Mahon est passée de 17.759 à 9.957 habitants, l’île voyant la population totale diminuer de 42% !

Les raisons de ce départ en masse : une succession de sécheresses et de récoltes perdues, un partage très inégalitaire du foncier exploitable, l’interdiction d’achat à l’étranger des graines et semences, un début de famine, le refus d’accepter l’incorporation dans l’armée espagnole.

Et les perspectives qu’offre la terre algérienne.

L’émigration des habitants de Ferreries vers Alger par le port de Ciudadella de Josep Sastre y Portella et, du même auteur, l’émigration des habitants de Migjorn à Alger 1834-1849, édités par la revue municipale de ces deux villes.

Plaque commémorative

Ces ouvrages fourmillent de détails et de listes nominatives et chronologiques des émigrants. Les différentes périodes et politiques de colonisation fixées par les autorités françaises sont aussi présentées.

Els menorquins d’Algéria, de Marta Marfany, publicaciones de l’Abadia de Montserrat, 2002 : l’ouvrage bâti sur une bonne recherche sur les correspondances de l’époque, et sur les témoignages des descendants des familles minorquines, apporte des éléments nouveaux. Il explique ainsi les différences notables entre les groupes partis en Floride et, à la même époque, ceux ayant choisi l’Algérie. Il rapporte aussi le bagage de traditions et coutumes que ces expatriés maintiennent, entretiennent et apportent en métropole en 1962. Comme les tournois de glose, exercice de format rigoureux à base d’improvisation.

Histoire d’un centre rural algérien : Fort de l’Eau, de Gilbert Bresson, préfacé par Georges Gayet ( IEP d’Alger) édité en 1957 chez Vve Bringau, Alger.

L’auteur, ingénieur agronome, ancien élève de l’école d’agriculture de Maison-Carrée, nous offre une étude très détaillée de ce village créé par des Minorquins maraîchers qui allaient apporter leur force de travail, leur farouche détermination à réussir, leurs mœurs rigoureuses dans un territoire rude et difficile à amender. Les évolutions démographiques ou des activités économiques, les espaces cultivés, les méthodes de culture, enrichissent cet ouvrage dont un condensé fut présenté au Congrès National des Sociétés Savantes organisé à Alger en 1952.

« Caseta mia per pobra que sia » de Déseado Mercadal Bagur, ediciones de S’Auba, Sant Lluis. Jour et Nuit. Cette œuvre de fiction d’un grand journaliste mahonnais, basée sur des faits réels, vient porter une contradiction sévère à l’histoire heureuse des Minorquins installés à Kouba, Fort de l’Eau ou Maison Carrée. Le héros, jeune père de famille, soucieux d’offrir une vie meilleure à sa jeune famille, se laisse séduire par le discours d’un ami du village ayant fait bonne fortune à Alger. Hésitations, départ, arrivée en cette terre algérienne. Un pays en construction, du travail proposé instantanément, un salaire inespéré. Mais une vie dure, des horaires épuisants, un mélange de populations créant tensions et incompréhensions.

Les mois passent, et un beau jour, notre héros réembarque sa famille et s’écrit « ma petite maison, pour pauvre qu’elle soit ! ».

Joseph PEREZ

(1) le CDHA va acquérir le DVD portant numérisation des textes de la Revista de Menorca de 1888 à 2000.

Extrait Mémoire Vive n°53