Les écoles arabes-françaises

Brève histoire des écoles primaires(1) arabes-françaises

 

Les questions relatives à l'instruction publique musulmane avaient été mises de côté pendant les 20 premières années de la conquête de l'Algérie. Avec l'avènement de la deuxième République, l’amarrage de l’Algérie à la France est confirmé par la création des trois départements d'Alger, Oran et Constantine, ainsi que par l'élection et l'envoi de députés à l’Assemblée nationale. Deux décrets présidentiels des 14 juillet et 30 septembre 1850, pris en application de la grande loi sur l'enseignement du 15 mars 1850, marquent la première tentative du gouvernement français en vue de l'organisation de l'enseignement des Français musulmans d'Algérie. Ils permettent de créer 10 écoles primaires arabes-françaises dont 6 pour les garçons et 4 pour les filles, puis trois écoles supérieures musulmanes, sous le nom de medersas, à Médéa, Tlemcen et Constantine (2), seules écoles en mesure de « former des candidats aux emplois dépendants du culte, de la justice, de l'instruction publique indigène et des bureaux arabes » (Muphti, Cadi, Imam, Khodja).

Création des écoles arabes-françaises en 1850

Le décret du 14 juillet 1850, signé du président de la République Louis-Napoléon Bonaparte et du ministre de la Guerre D’Hautpoul, prévoit les dispositions suivantes :

Pour les garçons, il est établi « dans chacune des villes d'Alger, Constantine, Bône, Oran, Blidah, Mostaganem, une école primaire pour le double enseignement de l'arabe et du français aux enfants musulmans. L'établissement de ces écoles sera successivement étendu aux villes où l'utilité publique en sera reconnue... » (Art.1).

« L'enseignement primaire est gratuit. Il comprend :

➢ La lecture et l'écriture de l'arabe ;

➢ Les éléments de la langue française, la lecture et l'écriture du français ;

➢ Les éléments de calcul et le système légal des poids et mesures. » (Art 2) « Le personnel de chaque école se compose d'un directeur français et d'un maître adjoint musulman, choisi parmi les tolbas ». (Art3)

Pour les filles, « Il est établi une école primaire de jeunes-filles musulmanes dans les villes d'Alger, Constantine, Oran et Bône. Cette institution sera successivement étendue aux villes où l'utilité publique en sera reconnue... » (Art 7).

« L'instruction est gratuite. Elle comprend :

➢ La lecture et l'écriture de l'arabe ;

➢ La lecture et l'écriture du français ; les éléments de la langue française. Et les éléments de calcul ;

➢ Les travaux à l'aiguille. » (Art 8) « Le personnel de chaque école se compose d'une directrice française et d'une sousmaîtresse musulmane. » (Art 9)

Rappelons ici, pour mémoire, que ce même décret prévoit également des écoles pour adultes, dans les trois chefs lieux de département. « Un enseignement français pour les adultes indigènes est établi dans les villes d'Alger, Oran, Constantine, et sera étendu successivement dans les villes où l'utilité en sera reconnue... Cet enseignement est gratuit ; il est confié aux professeurs du cours public d'arabe dans les villes où ces cours sont établis... » (Art 12). « L'enseignement comprend les éléments de la langue française, du calcul, de l'histoire et de la géographie. Les cours ont lieu trois fois au moins par semaine. » (Art 14).

Outre la création de cours et d'écoles, les autorités françaises apportèrent une aide à la conception et à l'édition de manuels scolaires arabes-français et de dictionnaires arabefrançais et français-arabe, qui faisaient gravement défaut.

Les objectifs recherchés par les autorités de l'époque

Dans son livre cité en référence, Alain Messaoudi rappelle le rôle qu'a joué l'ouvrage du Capitaine de Neveu « les Khouan, Ordres religieux chez les musulmans d'Algérie », édité en 1845, réédité en 1846, dans la prise de conscience de l'Islam comme facteur de résistance. De fait, les premières écoles françaises ont été « boudées » par les musulmans qui éprouvaient des réticences à l'envoi de leurs enfants dans « l'école des chrétiens ».

L'objectif du gouvernement sera alors de promouvoir un enseignement en langue arabe et en français afin de faciliter la propagation de la langue française dans la population musulmane de l'Algérie, de promouvoir les sciences modernes en arabe vulgaire. La France a besoin, pour assurer une bonne administration et un développement de ses nouveaux départements, d'hommes lettrés pouvant servir d'interlocuteurs, mais aussi de l'éclosion d'une classe moyenne musulmane suffisamment solide pour garantir un certain ordre social dans la société locale.

Témoignage d'Ismaël Urbain sur les écoles arabes-françaises

Dans son ouvrage « L'Algérie pour les algériens », publié en 1861, Ismaël Urbain voit dans ces écoles arabes-françaises « le germe déposé pour le progrès de l'instruction primaire ». Lisons son témoignage :

« Le directeur est Français ; il est assisté d'un maître musulman. Quelques jeunes Français sont admis pour donner, en quelque sorte, le ton et la prononciation de notre langue. L'élève apprend à réciter le Coran, comme dans l'école indigène, mais on lui enseigne à lire sa langue dans des livres élémentaires préparés par nous, d'après nos méthodes les plus rationnelles, et non plus en suivant les routines des maîtres d'école du pays. Il n'étudie plus seulement le Coran on lui donne des notions de l'arithmétique, de l'histoire, de la géographie et du dessin linéaire ; on a même, dans quelques écoles, organisé des orphéons, et nos chants nationaux retentissent, chaque jour, au milieu de ces enfants. Des établissements semblables ont été fondés pour les jeunes filles musulmanes. Là, le temps est partagé entre les travaux à l'aiguille et les études. Les jeunes filles prennent à l'école le repas du milieu du jour, pour leur éviter les allées et les venues à travers la ville. Hâtons-nous de noter que ces écoles, d'un caractère si utile, sont encore peu nombreuses. Lorsqu'on les comparera aux écoles indigènes pures, on verra que l'innovation est tellement grande, qu'il faut donner le temps à la population de connaître et d'apprécier les résultats; quant à la fondation des écoles de filles, c'est une véritable révolution qu'on prépare dans la famille musulmane; les progrès matériels affranchiront la femme des travaux les plus fatigants du ménage elle pourra alors se livrer à la couture, si favorable à la méditation et à la réflexion; elle pourra lire et écrire. La nature de ses rapports avec son mari et avec ses enfants subira la plus heureuse transformation. »

Le bilan en 1870 et après

En définitive, l'enseignement des écoles arabes-françaises sera un échec. Elles ont été pendant vingt ans, selon les termes d'Alain Messaoudi, « le lieu de méthodes innovantes et le creuset de nouvelles élites », mais leur faillite s'annonce dès la chute du second Empire. Cet enseignement n'a pas réussi à concurrencer, auprès de la population les écoles indigènes et notamment les écoles coraniques. Mille huit cents élèves y étaient scolarisés en 1870, et le nombre des écoles était passé de 10 à 36 en 20 ans. Mais dès l'avènement de la troisième république des classes sont supprimées, d'abord chez les filles (3 écoles sur 4) puis chez les garçons. Elles végètent encore pendant près de dix ans avant de disparaître officiellement en 1883. En revanche, les médersas réactivées en 1850, après avoir été délaissées sous la domination turque, verront leur avenir s'affirmer et leur scolarité passer de trois à quatre ans (en 1895), puis à six ans (en 1944) avant d'être transformées en Lycées d'Enseignement Franco-Musulman en 1951, mais cela est une autre et très intéressante histoire...

 

Jean-Pierre SIMON

(1)- Des collèges arabes-français seront fondés à Alger en 1857, puis à Constantine en 1863. Mais ces collèges seront rapidement supprimés par la troisième république (arrêté du 28 octobre 1871).

(2)- La Medersa de Médéa fut transférée d’abord à Blida en 1855 puis à Alger où son siège fut définitivement fixé en 1859.

 

Sources:

Alain Messaoudi – Les arabisants et la France coloniale 1780-1930 – ENS Editions – 556 pages – 2015

Georges Voisin – L'Algérie pour les Algériens, Paris – 1861.

Guy Pervillé – Les écoles indigènes – in L'Algérie et la France – Janine Verdès-Leroux – Robert Laffont – 2009.

Charles Janier – Les médersas d’Algérie _ Dossier du Mémoire Vive N°46.

Code-Répertoire annoté de la nouvelle législation sur l'instruction publique. 1856.