La Nostalgérie, une notion polémique mais partagée…

Une analyse proposée par Denis Kremer  dans son ouvrage : « Psychanalyse d’une déchirure » ( éditions de l’Onde, 2018)

On les traitait de Pieds-Noirs et de nostalgériques. Les « rapatriés » se sont donné une identité avec ce qualificatif et se sont accaparés du mot-valise pour parler de leur amour du pays où ils avaient vécu.

On trouve donc très fréquemment ce mot dans les écrits mémoriels. Il est en général employé une seule fois, plutôt en milieu du récit. Il dit la nostalgie du pays natal et rien d'autre. Selon l'histoire familiale et personnelle propre à chacun, il exprime une douleur ressentie plus ou moins forte, une douce mélancolie ou un fardeau qui peut devenir lourd à porter et qu'on retrouve dans « L'Algérie, j'y pense tous les jours ». Cette nostalgie n'a plus le caractère météorologique qu'elle avait avant 1962. Le mot dit l'amour ou la douleur, mais fait également allusion à la douceur du climat de « là-bas » où le soleil, le bleu du ciel, la beauté des plages viennent saupoudrer les souvenirs festifs et leur donner plus de beauté et en sont autant de symptômes. Il ne manque que l'odeur des brochettes et le goût de l'anisette. Et l'accent !

Il n'y a pas que les Pieds-Noirs pour dire leur nostalgie. Des Algériens également utilisent ce mot pour dire que le pays leur manque. Plusieurs de leurs blogs contiennent sous une forme ou une autre le mot nostalgérie dans leur titre : nost-algérie, 213nost'algérie, nost alger, nostalgérie arab. Un album de la chanteuse Malika Domrane, Algérienne qui vit à Paris s'appelle Nostalgérie bien que toutes les chansons interprétées soient en arabe.

Une nostalgérie « bon enfant » est également présente sur Internet dans des sites mémoriels comme Saïda nostalgie ou La piscine de Béni Abbès : « Un blog pas pour pleurer sur ma condition de pieds noirs (après tout être fier de ses origines c'est... quelque part aimer ses parents), mais pour montrer des photos du pays qui nous a vus naître et grandir. Bref l'histoire de ma vie, très condensée ».

Notons l'affirmation: « être fier de ses origines c'est... quelque part aimer ses parents » qui est une des caractéristiques de la personnalité du Pied-Noir abordée dans un chapitre suivant.

Etre fier de ses origines, c’est…quelque part aimer ses parents

Également le site berdepas.com dont l'administrateur précise: « La nostalgie est un état dont on ne guérit pas. Elle vous poursuit, pour resurgir dans les circonstances et les moments les plus inattendus. Il suffit d'un mot, d'une image, de quelques notes de musique pour que s'entre-ouvre la porte de vos souvenirs, même ceux que vous avez réussi à chasser ou à enfouir sous les décombres de votre passé. » Ce site est intéressant car son propriétaire dit suivre de près l'actualité algérienne. Il a constaté que chez des Algériens, y compris chez les jeunes, il existe une grande curiosité sur le passé colonial car ils croient de moins en moins à la version formatée de l'histoire qu'on leur impose. On peut lire sur la page d'accueil que « la "nostalgérie" n'est pas un sentiment réservé à ceux qui, comme moi, ont "refait leur vie ailleurs" en tournant le dos à leurs racines; Il m'arrive, de plus en plus fréquemment, de trouver, dans la littérature francophone algérienne, des traces d'une même nostalgie de l'autre côté de la Méditerranée, et curieusement parmi la jeunesse de ce pays. La presse algérienne s'en fait l'écho, de temps à autre. »

Deux sites Internet sont particulièrement intéressants, l'un créé par un Algérien, l'autre par un Pied-Noir. Ces deux sites, Tizi Ouzou Zik Enni et Alger à une certaine époque ont en commun qu'ils sont fréquentés autant par des Français que par des Algériens qui eux aussi commencent à être nostalgériques de leur passé : en cinquante cinq ans, bien des choses ont changé en Algérie.

On trouve sur ces sites ce genre de commentaires écrits par des Algériens :

MESSAOUD HEFFAF : « À l'époque Alger était un paradis sur terre avant l'arrivée des envahisseurs. »

BESSMA SAMI : « Quand je vois les anciennes photos de Bouismail' j'ai envie de pleurer de son état maintenant. »

Cher lecteur, n'allez pas croire que l'envahisseur désigne le colon arrivé en 1830, je l'ai moi-même cru. Mais comme ce mot revient souvent sur des blogs d'Algériens, il ne fait pas de doute que ce qualificatif désigne les personnes qui ont pris le pouvoir en Algérie.