Henri BOUCHARD,sculpteur, et le premier raid Citroën au Sahara

Médaille Raid Citroën

Des centaines d'expériences ont eu lieu pour conquérir le Sahara. Les premières tentatives de traversée du désert restent assez fantaisistes, les plus sérieuses remontent à 1916. Peu à peu, au fil du temps, au Sahara des sables et des nomades se substitue un Sahara nouveau. La mission Haardt-Audouin-Dubreuil se fixe le but de rallier l'Algérie au Niger. Elle est conduite par Citroën de décembre 1922 à janvier 1923 et ouvre la voie à la Croisière noire en 1924 puis à la Croisière jaune de 1931, en Asie. Ce premier raid suit un itinéraire passant par Touggourt, Ouargla, In Salah, Hoggar, Tin-Zaouaten, Tombouctou et retour à bord de véhicules à chenilles Kegresse.

Bernard Boutet de Monvel (1884-1949) illustre ce reportage dans l'ouvrage, La première Traversée du Sahara en automobile de Touggourt à Tombouctou par l'Atlantide, édité à Paris en 1924.

La réussite du premier raid transsaharien est également immortalisée par une œuvre sculptée commandée à Henri Bouchard, sculpteur (1875-1960). (2) C'est pour lui l'occasion de satisfaire son goût pour l'orientalisme, il s'adapte dans son style au sujet proposé et passe d'un réalisme presque expressionniste au début du siècle à une idéalisation décorative entre les deux guerres.

Il est probable que Bouchard a rencontré son commanditaire André Citroën grâce à Georges Wybo, architecte très en renom à l'époque. Dans les œuvres qu'il réalise en 1923, l'artiste intègre la représentation du dromadaire et l'autochenille, qui symbolisent l'ancienne et la nouvelle façon de traverser le Sahara.

Veilleur Berbère, 1923

Les commandes de Citroën permettent à Bouchard de réaliser des œuvres en trois formats : la petite médaille, la sculpture de petit format et le monument de grande taille. La médaille commémorative est éditée un mois après le retour de la traversée. L'artiste commente ses travaux : « Ma médaille pour le Raid Citroën est terminée, ce n'est qu'à la troisième composition qu'elle m'a à peu près satisfait. Je travaille maintenant aux objets d'art destinés à être offerts à l'organisateur et aux chefs de mission ». La bédouine, statuette tenant un dromadaire dans une main et une autochenille dans l'autre, est réalisée pour André Citroën ; elle regarde vers la voiture, vers l'avenir. Le Veilleur berbère a été offert à Louis Audouin-Dubreuil ; le modèle en plâtre est exposé au musée Bouchard (aujourd'hui fermé). La statuette d'Antinéa non datée est offerte à Haardt, chef de la mission. Si elle s'inspire de l'héroïne très célèbre du roman de Pierre Benoit, c'est bien l'Afrique qui est évoquée. « Cette composition transversale peut être comprise comme une allégorie de la traversée du Sahara et la voiture qu'Antinéa laisse partir, malgré son envie de la retenir, est celle qui la première est arrivée de l'autre côté de ce désert aride », précise l'artiste.

Bédouine, 1923

Antinéa, nd

Une stèle Citroën de 3 m sur 2,80 m est installée à Paris aux usines Citroën, puis offerte au musée de Saint Jean-d'Angély, ville natale d'Audouin-Dubreuil. Elle orne aujourd'hui le jardin public de la ville. Un peu plus tard, en 1929, la société Citroën fait élever un Monument à Touggourt, point de départ de la première traversée du Sahara. Cette initiative s'inscrit certainement dans le projet de célébration du centième anniversaire de la colonisation française en Algérie qui sera célébrée en 1930. Bouchard avec la collaboration de l'architecte Wybo, sculpte la borne de Touggourt, balise du désert. Elle rappelle l'exploit sportif, la technologie française qui l'a permis, et certainement la présence française sur ce territoire immense évoqué par les distances inscrites sur la borne : Alger 624 km, Gao 2.767 km, Tombouctou 3.120 km, Niamey 3.850 km, distances que la voiture va permettre de relier facilement. Ce monument est composé de six faces : Soudan, Hoggar, Algérie, trois faces documentaires et trois bas-reliefs. Le bas-relief de Bouchard s'inspire certainement de la stèle d'Aristerion du musée d'Athènes, art archaïque grec que Bouchard admire. Le monument est toujours en place à Touggourt, mais l'inscription « République française : 'Gouvernement général de l'Algérie » a été effacée au moment de l'indépendance. Le monument est remarquable par les trois personnages formant les faces historiées. Monumentaux et très décoratifs : l'arabe sédentaire de l'Algérie du nord, le targui nomade du désert avec son grand bouclier de cuir et enfin le noir de Tombouctou, point d'arrivée de l'autre côté du Sahara, évoquant les trois peuples, aux coutumes si différentes, qui sont reliés par cette nouvelle route.

Monument sculpté par H. Bouchard à Touggourt pour commémorer le Raid Citroën

Ce premier raid rapporte une ample moisson d'informations du plus haut intérêt. M. Castelnau, docteur ès sciences, en plus de ses observations géodésiques et de l'étude du terrain, a filmé toute l'aventure. Les ministères des Colonies, de la Guerre, les gouverneurs des colonies intéressées ont assuré à Citroën toute l'aide possible. Le raid se termine après vingt et un jours et trois mille deux cents kilomètres de traversée. Haardt ayant décidé de revenir à Touggourt, le point de départ, il a finalement franchi sept mille kilomètres.

« Le chameau est mort, la Citroën le remplace », déclare André Citroën qui a le sens de la formule.

La Croisière Noire d'octobre 1924 à juin 1925 qui suivra cette expédition traverse le continent africain de l'Algérie à Madagascar, avec huit autochenilles. D'autres artistes seront impliqués dans cette expédition, à vocation culturelle, scientifique et économique.

Elisabeth Cazenave

Extrait du Mémoire Vive n°51

(1) - Bouchard et le raid Citroën transsaharien, Musée Bouchard, 5 octobre - 10 décembre 1988.

(2) - Henri Bouchard, Grand Prix de Rome en 1901 est un artiste éclectique dans sa production.

En 1930, il assiste aux grandes fêtes données pour la commémoration du centenaire de l'Algérie, il réalise avec Charles Bigonnet le prestigieux monument élevé à Boufarik (23,5 m de haut pour 149m de long et 7 m de profondeur), à la gloire de la colonisation française. Le groupe central regroupait les portraits en pied de tous les hommes marquants de cette colonisation.

Bibliographie :

Elisabeth Cazenave, Explorations artistiques au Sahara (1850-1975), Éditions Ibis Press - Association Abd-el-Tif, Paris, 2005.

Algérie, Hoggar et Soudan (détails du mounument à Touggourt)