Des artistes voyageurs aux premiers guides touristiques

« La terre algérienne par l'inouïe diversité de ses couleurs, la beauté attachante de ses sites, ses attraits multiples, sa cargaison de traditions, d'architectures raffinés ou austères, l'aura d'un certain mystère dû à sa situation aux confins d'une civilisation arabo-islamique, conduisent inexorablement les artistes au rivage de cette Circé orientale. » Jean Alazard, Gazette des Beaux-arts, 1932.

La conquête artistique de l'Algérie

         1830, la prise d'Alger ouvre brusquement la porte de l'Orient maghrébin. La conquête artistique de l'Afrique du Nord commence.

          Le premier circuit officiel en Algérie date de 1839. Il s'agit de celui du Duc d'Orléans (1810-1842), premier fils de Louis-Philippe et frère aîné du Duc d'Aumale, dans la province de Constantine. Puis très vite ce sont des artistes qui lancent cette mode « exotique » du voyage.

         Le séjour de quelques mois de Delacroix au Maroc et de quelques jours à Alger a ouvert une voie royale à l'orientalisme nord-africain. Mais c'est surtout dans la foulée de l'expédition d'Alger que l'intérêt s'est concrétisé pour ce pays, grâce aux artistes officiels qui ont participé à la conquête de la Régence : Gudin, Morel Fatio, Isabey, et par ceux qui, dans les fourgons de l'armée ont découvert l'Algérie. Que l'on se rappelle à l'exposition de Vincennes ces officiers sur le tas, ces interprètes en ateliers, et ceux qui ont suivi les colonnes : Legrand, Dauzats, Marilhat, Vernet, ou ceux qui arrivent en visiteurs comme Moulignon, Bournichon, Montfort[1].

         Entre 1840 et 1850, l'orientalisme a tendance à tomber dans le bric-à-brac et le décor facile. Chassériau et Fromentin voient dans les thèmes orientaux autre chose que des évocations pittoresques.

         Le premier nous offre une œuvre riche en faits nouveaux à travers les rues de Constantine ou d'Alger, tout en laissant transparaître un côté romantique. La connaissance de l'Algérie, grâce à Fromentin, s'est enrichie considérablement, il analyse dans sa complexité la lumière du ciel d'Algérie qu'il ne traverse pas en voyageur hâtif. Avec lui, nous appréhendons pour la première fois, le charme virgilien des coteaux du Sahel et retrouvons des horizons analogues à ceux de la France. Ses tableaux baignent dans cette étrange atmosphère algérienne diffuse et grise, avec un rare bonheur, ce qu'il évoque dans ses ouvrages, Un été dans le Sahara et Une année dans le Sahel : (…) le gris, voici l'avènement et le triomphe du gris. Tout est gris, depuis le gris froid des murailles, jusqu'au gris puissant et chaud des terrains et des végétations brûlées. » L'artiste fait trois séjours en Algérie entre 1846 et 1853. Fromentin renouvelle comme peintre et comme écrivain, la conception que l'on se faisait de l'Orient.

         Le tourisme artistique se développe désormais, devant des paysages, des villes, des populations nouveaux sur lesquels les peintres vont broder sans cesse.

Roger BEZOMBES, Les femmes d'Alger

         Guillaumet au cours de nombreux séjours, assez longs, qu'il fait en Algérie a le loisir d'étudier « l'européanisation » du pays. C'est en Kabylie jusqu'au Maroc oriental, en Oranie et plus encore dans le Sud, en bordure du désert, que l'artiste a le plus souvent séjourné. Dans ses Tableaux Algériens [2] à propos des costumes dont le caractère s'est altéré, il observe « on y surprend des mésalliances de goût qui donnent l'idée d'une mascarade. » C'est vers le Sud algérien, qu'il essaie de retrouver la pureté des mœurs islamiques en découvrant l'oasis de Bou-Saâda, séjour par la suite de tant d'artistes parmi lesquels Étienne Dinet.

         Pourtant les tentatives de Guillaumet ou du peintre Dehodencq n'empêchent pas l'orientalisme de dégénérer.

         Le courant impressionniste représenté par Monet, Renoir et Lebourg, illustre vers 1875 la réaction la plus heureuse contre l'orientalisme à la mode. Claude Monet vient en Algérie au moment de son service militaire, il ne garde de ce séjour aucun souvenir, ses préoccupations sont ailleurs. Auguste Renoir y passe quatre mois et peint en virtuose le Jardin d'essai. Albert Lebourg enseigne le dessin à la Société des Beaux-arts d'Alger, la plus ancienne des sociétés artistiques algériennes, née de l'initiative privée en 1851.

         Depuis 1870, un collectionneur Laperlier anime et coordonne les activités artistiques de la colonie française. Laperlier est le mentor de Lebourg qui jette les bases de l'École d'Alger, c'est à lui qu'il doit la découverte de l'Algérie et la révélation de son talent. Le peintre lyonnais Seignemartin vient à Alger à vingt-six ans, atteint de tuberculose, il exercera sur Lebourg une heureuse influence.

         Le voyage en Algérie s'impose de plus en plus aux peintres et écrivains de la métropole, d'autant mieux qu'il est facilité par des liaisons maritimes régulières.

        Guy de Maupassant se rend en Algérie, en juillet août 1881, comme envoyé spécial du Gaulois. Sur les traces de son maître Gustave Flaubert, il est présent lors des soulèvements indigènes dans le Sud Oranais. D’Oran, il décide de se rendre à Saïda et rapporte plus tard ses souvenirs dans des nouvelles parues sous le titre Au Soleil . On devine à travers la description qu'il fait de son voyage qu'il est accompagné d'un guide touristique. Louis Piesse évoque longuement le barrage de Perrégaux dans le Guide Joanne, Itinéraire de l'Algérie de 1879, Guy de Maupassant le reproduit quelque peu.

         En 1892, un peintre marseillais, Marc-Alfred Chataud s'installe en Algérie, attiré par ce pays qu'il a appris à connaître dès sa jeunesse. Chataud est un des premiers à peindre l'Afrique du Nord comme il peint à Mantes ou dans la forêt de Fontainebleau, sans aucun parti pris. Albert Besnard reste, en 1893, quelques mois dans le Sahel, se joint à lui Paul Leroy qui devient un arabisant distingué.

         Le voyage en Algérie s'est imposé aux artistes de métropole qui forment en 1897 la Société des peintres algériens et orientalistes.

         Entre 1860 et 1900 l'exotisme contribue à fournir une gamme de sujets qui finit par inspirer même ceux qui n'ont jamais quitté leur pays.

         Étienne Dinet, membre fondateur de la Société des peintres orientalistes français, dans un essai critique, L'Orient vu par l'Occident arrive à cette conclusion : « L'orientalisme à thèses sera bientôt sexagénaire (…). Qu'il laisse donc la place à un orientalisme vraiment jeune et décidé à travailler sur le vif, en pleine lumière. »

         Les peintres qui vont leur succéder sont davantage soucieux d'exactitude et de précision, et Jean Alazard ajoute « ils se sont libérés de tout poncif (…) à présent on fait de l'exotisme honnêtement et simplement (...), l'exotisme s’humanise, s'occidentalise même ».

         Le terme d'exotisme s'est alors substitué à celui d'orientalisme, il est devenu surtout africain.

Eugène DELACROIX, Le Caïd Marocain, musée des Beaux-Arts de Nantes

Charles Jonnart et la promotion du tourisme

         En 1907 la Villa Abd-el-Tif, la Villa Médicis algérienne, est créée par le Gouverneur général Charles Jonnart, elle accueille des artistes métropolitains pour deux ans en leur octroyant une bourse de voyage.

         Il est la première autorité à s'intéresser de près à la question du tourisme dans la colonie. Une véritable section du tourisme est mise en place rattachée à la direction du Commerce. Créée avant 1914, elle centralise toutes les questions concernant le tourisme et les industries s'y rapportant.

         L'Algérie devient avant 1914, une destination recherchée.

         Les raids et les croisières automobiles dans les années vingt ouvrent de nouvelles voies touristiques. Le raid des autochenilles Citroën de la mission Haardt-Audouin-Dubreuil ainsi que le raid des six roues jumelées Renault

traversent le désert, des artistes Alexandre Iacovleff, Paul-Élie Dubois, James Rassiat, Charles Brouty accompagnent les équipages.

         En 1925 est lancé le premier concours entre artistes d'Algérie pour l'édition d'affiches de tourisme intéressant les réseaux des chemins de fer algériens de l'État. Propagande touristique et publicité commerciale sont de plus en plus associées.

        Ce travail de fond connaît son apogée lors des célébrations du centenaire de l'Algérie. Ce pays doit devenir le prolongement de la France au sud de la Méditerranée.

Paul-Elie DUBOIS, Boye, fils de l'Amenokal actuel et deux nobles

         « Terre d'héroïsme, terre de labeur fécondateur, l'Algérie est aussi la terre de prédilection pour le tourisme. Depuis la corniche merveilleuse du littoral jusqu'aux étendues illimitées du Sahara tout ici n'est qu'éblouissement et magnificence. Partout de la mer au désert, en traversant nos plaines et nos hauts plateaux, le tourisme admire les beautés de la nature, mais surtout l'œuvre de civilisation réalisée par la France généreuse en harmonieux accord avec les populations indigènes, affectueusement attachées à la mère patrie. » Pierre Bordes, Gouverneur général de l'Algérie, 1928.

         On évalue à 45 000 touristes ayant visité l'Algérie à cette époque et ce chiffre ne fait que croître puisqu'avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, c'est près de 100 000 personnes qui font le voyage dans ce pays.

         En octobre 1947, se tient à Alger le deuxième congrès international du tourisme africain, l'Algérie est représentée par Gabriel Audisio, chef des Services de l'information et de Presse de l'Office du gouvernement général de l'Algérie.

         Le tourisme est relancé, son développement se poursuit jusqu'en 1962, en dépit de la guerre.

        Qu’en est-il aujourd'hui ?

Elisabeth CAZENAVE

Bibliographie

Élisabeth Cazenave, La Villa Abd-el-Tif, un demi-siècle de vie artistique en Algérie, 1830-1962, Association Les Abd-el-Tif, 1998, p. 15 à 20.

Arnaud Berthonnet, Pour une histoire du tourisme au Maghreb, (XIXe-XXe siècles) in Revue Tourisme, mai 2006.

Extrait du Mémoire Vive n°60


[1]                     Isabelle Bruller, L'Algérie romantique des officiers de l'armée française 1830-1837, catalogue (versé au CDHA) Service historique de l'armée, mai 1994.

[2]                     Gustave Guillaumet, Tableaux Algériens, Paris, 1886.

En couverture : Eugène FROMENTIN, Rue Bab-el-Gharbi à Laghouat, musée de la Chartreuse, Douai